« There’s a feeling I get when I look to the West », chantait Led Zeppelin. Ce sentiment insaisissable informe notre numéro d’été. On n’a jamais autant évoqué le concept de l’Ouest, et on ne l’a jamais autant associé à une représentation pessimiste : Spengler, l’auteur du Déclin de l’Occident, devrait se réjouir dans sa tombe.
L’idée du dossier est née il y a trois ans avec notre lecture du premier roman de Philippe Castelneau, motel valparaiso, dont le titre renvoie au célèbre recueil de clichés du photographe chilien Sergio Larrain – preuve, s’il en est besoin, que la fable de l’Ouest n’est pas l’apanage de l’Amérique du Nord. Castelneau décrivait une ville mythique, Cevola, située quelque part dans l’Arizona, près de la frontière californienne, un lieu aussi éphémère qu’un mirage. À sa lecture, on s’est rendu compte que, d’une certaine manière, toutes les images de l’Ouest se ressemblent, il y a comme une sorte de quête de l’absolu exprimée de manière horizontale, le néant aplati et unidimensionnel.
En France, lorsqu’on est américain, on est davantage confronté à cette fantasmatique, on devient, qu’on le veuille ou non, ambassadeur du pouvoir impérial, tenu d’expliquer ses prouesses et ses horreurs. On a l’impression que tous les regards sont braqués sur l’autre côté de l’Atlantique – ses médias, sa musique, son cinéma, sa mode, sa technologie, sa littérature et même – yes ! – sa malbouffe. On méprise ce pays lointain tout en le mimant, on s’en défend en prétendant avoir du recul.
Il est donc peu surprenant qu’un grand nombre d’articles dans ce numéro traitent directement ou indirectement d’Oncle Sam, figure avunculaire qui concentre beaucoup de haine et d’amour. Ce hors-série s’efforce de contextualiser ces sentiments ambigus, de voir en quoi l’élan outre-Atlantique fait partie d’une impression plus générale d’appartenance à quelque chose qu’on peut appeler « l’Occident » ou « l’Ouest », terme difficile à définir : une région ? une idéologie ? une organisation socio-politico-économique ? Comment ce concept a-t-il évolué depuis des milléniums ? Pourquoi ce point cardinal est-il si galvanisant, au point qu’il écrase les trois autres membres de sa fratrie ? Comment le considère-t-on du point de vue d’autres continents, en Asie, en Afrique ? Dans la mesure où il s’agit d’un mythe, comment celui-ci s’exprime-t-il à travers les arts plastiques, la musique, le cinéma, la littérature ?
C’est à toutes ces questions, et à bien d’autres encore, que ce numéro essaie de répondre. Peut-on encore parler de l’Ouest ? Est-ce une notion qui tient la route ? Lorsqu’on emprunte ce chemin, va-t-il nous conduire sur un stairway to heaven, ou, pour citer AC/DC, plutôt sur un highway to hell ?