À l’occasion de chaque Marché de la Poésie, nous offrons à un auteur ou une autrice un espace de parole pour qu’il ou elle présente librement son esthétique et ses projets. Après Linda Maria Baros, Cécile A. Holdban et Jacques Josse, voici Tom Buron, né en 1992 et dont vient de paraître Les cinquantièmes hurlants (Gallimard).
Nous croyons à un lyrisme ultraviolent, un lyrisme réinventé qui s’inquiète de son rythme et de sa musique comme de son expédition, un vers libre d’embardées qui vient pour rattraper sa maladie et galope pour effleurer la grande énigme, ce mystère clandestin que l’on nous avait promis par le nostos et la catabase, un vers qui cherche à retrouver à la fois le vieux point d’ancrage et le futur, un lyrisme au nez cassé qui a soif et qui désire, un vers libre qui viendrait charrier la vieille épopée en opéra-rock électronique, pris par les accords et les percussions de la ville, sa machinerie, et encore par les grandes routes possibles, car elles le sont, un vers embarqué dans cette cadence-là, oui, nous croyons à une sublimation de l’expérience pour la renouveler dans ce seul épique ivre de tours, de fous et de cavaliers rieurs et combattants, loyaux à l’obsession, toujours, fidèles au jeu, un lyrisme féroce d’individus tournés avec panache vers les charmes difficiles et vers l’action, à un lyrisme de combat comme la vague haute du cap des tempêtes et comme la charge du toro bravo devant la muleta, un lyrisme moderne car inactuel, un lyrisme de l’aujourd’hui indéfini pour le vingt-et-unième siècle, un lyrisme qui se fiche d’être qualifié d’impréhensible, qui crypte et frappe, aborde le duel, en mano à mano avec la bonne fortune, nous croyons à un lyrisme qui n’est jamais celui des autres, nous croyons à un lyrisme contre tous les autres, un lyrisme ultraviolent, expérimental et dense, un lyrisme qui ne fait pas de quartier, de pugilistes et de chamanes, d’ambassadeurs déréglés qui doutent certes mais refusent l’hésitation, un vers en garde qui remet le sport dans la phrase, dans sa compacité de trois quarts, une versification à l’architecture bestiale qui ne s’apitoie pas et ne fait pas semblant, ne balbutie pas et refuse catégoriquement de s’expliquer mais qui cavale et danse gaiement, qui risque, pur et probe, qui désosse les hiéroglyphes et les mondes virtuels, fleuret pointé vers le secret initial, nous croyons à un lyrisme agressif et querelleur, sauvage et discipliné, un lyrisme d’action, de la grande péripétie, de l’incident, de l’engagement total et joyeux, et donc de la vitalité, nous croyons à un vers de corsaires de l’irrégularité, un vers à la santé cosaque, un lyrisme qui ne fait pas de quartier, qui part trouver son cœur à l’Est et l’or à l’Ouest, un lyrisme ultraviolent qui se cabosse et se confronte car nous croyons au vers comme quête métaphysique et nous croyons que celui-ci se conquiert encore et encore, nous croyons à un lyrisme ultraviolent qui explore la révélation et le mal, qui lutte et retrouve la catastrophe, un lyrisme qui aurait les exaltations d’un fauve, nous croyons à un lyrisme ultraviolent et ultramoderne pour notre époque, un lyrisme pour ne pas mourir, un lyrisme qui correspondrait précisément à cette aventure.