Edward Thomas, poète-combattant

Au Royaume-Uni, la vision littéraire de la Grande Guerre est en grande partie construite par des poètes-combattants, Ivor Gurney, Siegfried Sassoon, Rupert Brooke, Wilfred Owen [1]… contrairement à la France où ce sont des romanciers-combattants comme Henri Barbusse, Roland Dorgelès, Maurice Genevoix… qui l’ont façonnée.

Edward Thomas | Adlestrop et autres poèmes. Édition bilingue. Trad. de l’anglais par Sarah Montin. Alidades, 56 p., 6,50 €

À cette poignée de poètes britanniques, un peu connus des Français (et un peu traduits dans leur langue), les éditions Alidades viennent d’ajouter le poète d’origine galloise Edward Thomas en publiant une jolie plaquette bilingue qui introduit à la mélancolie distanciée de celui que Ted Hughes a appelé – pourquoi pas ! – « notre père à tous ».

Ce sont Robert Frost et la guerre qui firent d’Edward Thomas (1878-1917) un écrivain. Avant sa rencontre, en 1913, avec le (pas encore célèbre) Américain de Nouvelle-Angleterre, Thomas s’épuisait en travaux « alimentaires » d’écriture littéraire (une trentaine de livres au fil des années et un rythme de quinze recensions d’ouvrages par semaine…). Il trouva, grâce à son nouvel ami, le courage de se consacrer à la poésie et celui, si c’est de courage qu’il s’agit, de s’enrôler sous les drapeaux alors que son âge et sa situation familiale l’en dispensaient. La guerre donna peut-être une forme à des angoisses qui l’avaient toujours paralysé et qu’il mit à distance en s’engageant.

Couverture de "Adlestrop et autres poèmes", Edward Thomas

Ainsi, en l’espace de trois ans, Frost et le conflit de 14-18 transformèrent Thomas en poète. C’est en tout cas sous l’uniforme qu’il écrivit presque tous ses poèmes (environ cent cinquante entre août 1914 et sa mort près d’Arras où, hors de tout combat, il fut tué par un obus) ; ils furent publiés en 1919.

Dans la petite sélection d’Adlestrop et autres poèmes, la guerre est présente, de manière indirecte mais essentielle, comme dans le court quatrain intitulé « In Memoriam (Pâques 1915) » :

Les fleurs qui regorgent quand la nuit tombe au bois

En cette saison pascale évoquent les hommes

Loin de chez eux, qui, avec leur amie, auraient dû

Les cueillir et ne le feront plus.

La voix est triste, distante, mais consentante. La guerre est en effet vue comme inévitable, comme le disent les vers de « Ce n’est pas une question mesquine de qui a tort ou qui a raison », ou de « Un après-midi de février ».

Pourtant, c’est de la nature et du paysage anglais que parle le plus volontiers Thomas. Il est d’ailleurs l’auteur d’un des plus jolis livres de prose sur le sujet, In Pursuit of Spring (1914, non traduit), dans lequel il décrit son voyage d’une semaine à bicyclette de Londres au Somerset « à la poursuite du printemps ». Dans ses vers aussi, il se montre attentif à leur beauté, amoureux de ses infimes composantes mais hanté par la futilité de ses contemplations. Car chez le poète tout est voué à disparaître, et les détails d’une scène bucolique le frappent autant par leur côté commun et merveilleux que par leur caractère éphémère. « J’ai peur », avoue-t-il dans « Comment savoir sur l’instant », « qu’ils passent soudain / Une fois pour toutes / Et que je ne les voie / Que pour les savoir partis ».

Le noir, les routes, la « moisson bleue », la « palabre des étourneaux », les « Reinettes d’Angleterre »… tels sont les motifs émouvants et passagers de ses poèmes, souvent brefs et rimés, très prenants par l’impression qu’ils donnent d’être à la fois familiers et lointains.

Lisons, comme une halte émouvante dans l’écoulement des choses, le merveilleux « Adlestrop », bref poème sur l’arrêt d’un train dans une gare de campagne (Adlestrop), étrangement vide car « nul n’est sorti et nul n’est venu », mais merveilleusement et brièvement transfigurée par la présence de quelques plantes et nuages, « beaux esseulés », et d’un impromptu chant d’oiseau aux résonances infinies.

« Me choisirez-vous, / Vous, mots anglais ? », demandait en 1915 Edward Thomas aux mots (dans « Words », non traduit dans la présente plaquette). Ils l’avaient bien évidemment choisi, reconnaissant en lui un véritable poète, cet être « fixed and free » (fixe et libre), intense et réticent, que le lecteur français aura aujourd’hui plaisir à découvrir.


  1. Les éditions Alidades ont précédemment publié trois plaquettes sur trois poètes de guerre britanniques : Ivor Gurney, Isaac Rosenberg, Wilfred Owen.