Plus blanc que blanc

Notre hors-série de l'été : le blancSuzanne Doppelt, dont nous parlions l’an passé à l’occasion de son Meta donna, a fait le choix pour EaN une fois encore d’une forme brève, lumineuse, pour nous dire que le blanc « vient en premier ».

Les écrivains autour du blanc : un éclairage de Suzanne Doppelt

Kasimir Malevitch, « Composition suprématiste : carré blanc sur fond blanc » (1918)

Le blanc n’existe pas et pourtant il vient en premier, dit Léonard dans ses Conseils aux artistes, il vient avant toutes les autres couleurs simples, le jaune, le vert, le bleu, etc. Sans lui rien, il contient chacune, c’est un très bon réflecteur, il les renvoie correctement et parfois même il les fait disparaître, une roue multicolore lancée à grande vitesse devient blanche, aussi blanche que la magie. Mais elle devient noire avec le temps plus l’atmosphère, métallique de plomb ou de zinc quand il se décompose en petits flocons, un noir à peu de chose près absorbant les ondes et n’en redonnant aucune, ni lui ni son exact opposé ne sont absolus, la fleur noire n’existe pas et la blanche est souvent jaunâtre ou bleuâtre, or, signale Goya, dans la nature il y a uniquement du noir et du blanc. Qui sonne comme un silence, celui des pays froids, des nuages, du quartz neige, du lièvre variable, de l’hermine, celui de la lumière solaire filtrée puis démultipliée par la chambre noire, celui de la peinture, Carré blanc sur fond blanc, à peine un contraste, l’abîme libre, l’infini devant, une voix sans timbre alors vogue la galère et vogue l’histoire, c’est avec du blanc d’Espagne que l’on écrivait sur la porte ou les murs incurvés : les armes sont livrées. Avant le retour des morts muets et impassibles, un faible éclat sous la lune pâle, un fantôme fait de son drap décoloré pareil de taille et de face, la Gradiva en robe blanche tirant vers l’ambre, la Reine des neiges sortie d’un épais flocon, une pure essence lumineuse presque une photographie, devenue grise étant donné le temps plus l’atmosphère, un gris moyen quand le blanc est dans la pénombre ou bien quand la saleté l’a modifié. Auquel cas Persil lave plus blanc que blanc, le blanc en soi qui vient en premier, une certaine idée, une lessive platonicienne propre à rectifier le moindre changement, vers le gris trouble par exemple, pourtant l’ombre est noire toujours même tombant des cygnes et les couleurs n’existent pas, elles ne se voient que par le rythme et la position.

Suzanne Doppelt

Tous les articles du hors-série n° 5 d’En attendant Nadeau