Quarante ans de Lettres Vives

Refuges de la poésie

Rares sont les éditeurs qui peuvent s’enorgueillir d’un catalogue comme celui de Lettres Vives. Créée en 1981 par Claire Tiévant et Michel Camus, cette maison d’édition a accueilli au fil du temps, en deux collections, des écrivains et des poètes tels que Marcel Moreau, Roger Munier, Roberto Juarroz, Antonio Gamoneda, Christian Bobin, Jean-Louis Giovannoni, pour n’en citer que quelques-uns. Parmi les nouveautés, parues ou à paraître, citons Jacques Ancet, Yves Namur, Joël Vernet et intéressons-nous tout particulièrement à ce dernier.


Joël Vernet, La nuit n’éteint jamais nos songes. Lettres Vives, 72 p., 15 €


Ce poète a écrit plus d’une soixantaine de livres, entrecoupés de longs voyages en Afrique ou ailleurs. Son écriture se nourrit à la fois de ses nombreux déplacements au contact des plus humbles – « seule la vie très pauvre m’aimante », écrit-il – dont il partage le quotidien et le petit village où il réside, « qui tangue comme une barque », au pied du mont Pilat.

On aurait tort pourtant de croire que Joël Vernet partage sa vie entre sédentarité et nomadisme : où qu’il soit, il voyage par l’écriture, dans le réel, distant ou proche, et dans la mémoire. Ses écrits prennent très souvent la forme d’une lettre « tachée d’un peu de sang, de joie et d’oubli », qu’il nous adresse en ami nous prenant par l’épaule, d’où le sentiment d’intimité, de fraternité que l’on ressent spontanément en le lisant. Son dernier livre, La nuit n’éteint jamais nos songes, ne déroge pas à la règle qui, en l’occurrence, n’a rien de normatif, bien au contraire.

Spécial Poésie : quarante ans de Lettres Vives

« Arthur » © Pierre Balas

Écrire, pour Joël Vernet, c’est s’ouvrir à la vie, à la « vie buissonnière », la laisser imprégner les sensations et les mots dès le matin. Cette fois encore, on ne s’étonnera pas que la première phrase soit « une rose sur le muret du jardin ». C’est la nature qui parle : le rôle du poète est de l’écouter et de la transcrire le plus simplement possible sur la page. Il n’y a jamais de fioriture chez Vernet. L’écriture est comme une rivière qui se fond dans le paysage, une quête continuelle d’harmonie, et, si elle part d’une source, celle-ci n’est pas à chercher dans les livres lus mais dans la vie, dans cette lumière et ce vent qui « fait jouer ses flûtes devant mes fenêtres », sans oublier le silence, « l’unique chef d’orchestre ». Que tout ce qu’il écrit soit un chant d’amour, un cri du cœur, un hymne à la joie !

On pense parfois, dans l’esprit, au Giono de Que ma joie demeure. Si Joël Vernet écrit au présent, dans la lumière montante et déclinante de la journée, attentif au moindre mouvement dans le jardin qui viendra vibrer dans ses phrases, il peut aussi voyager loin dans sa mémoire. « Les braises de l’enfance couvent à chaque page », dit-il. Il les ranime en quelques évocations vibrantes, faisant renaître par l’écriture tous les lieux, toutes les sensations éprouvées, toutes les émotions, même celles qu’il voudrait oublier pour « terrasser sa souffrance », telle la mort accidentelle du père qui vient « vous foudroyer pour la vie entière ». Mais lire Joël Vernet, c’est surtout assister, en témoin complice, au mariage « de la langue et de la vie ».


Le peintre Pierre Balas, né en 1939, vit et travaille en Seine-et-Marne. Il a exposé à Munich, Bâle, Paris, Hambourg, Trèves, Barcelone, Naples, Palerme, Prague… Ses œuvres sont présentes dans plusieurs collections : Musée d’Art Moderne, Fonds National d’Art Contemporain, Bibliothèque Nationale.

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