Cellule de crise

Le cas Annunziato, premier roman de Yan Gauchard, est l’un des deux titres que les éditions de Minuit publient en ce début d’année 2016, l’autre étant le dernier Echenoz. Si l’on ajoute à cela le fait qu’Annunziato, le protagoniste de Gauchard, est traducteur, on ne peut qu’éprouver une saine curiosité pour ce nouvel auteur.


Yan Gauchard, Le cas Annunziato. Éditions de Minuit, 128 p., 12,50 €.


Remarquons tout d’abord que la traduction est l’un des plus vieux métiers du monde, généralement mais pas exclusivement pratiqué par des femmes, et dans des conditions d’exploitation souvent honteuses. À ce titre, cette profession est porteuse d’une forte charge métaphorique, d’autant que l’autre figure iconique censée la représenter est celle du saint ermite – Jérôme, pour ne pas le nommer –, qui du fond de son cloître, mène une vie d’ascète au service d’une cause. Rassurons les prudes, c’est au second panneau de ce diptyque que Yan Gauchard a puisé son inspiration. En effet, sans trop se soucier de la mécanique de l’intrigue, il enferme son personnage principal, Fabrizio d’Annunziato, dans la cellule d’un ancien couvent dominicain où Fra Angelico a peint ses plus célèbres fresques et qui abrite aujourd’hui le musée national San Marco, à Florence. Et comme Gauchard ne se prend pas au sérieux, il précise qu’il ne compte pas nous faire « le coup de L’Annonciation », et que c’est La Transfiguration, rebaptisée dans le texte La Complainte au Christ sur la croix, que son héros a sous les yeux. S’ensuit une série d’événements dont la vraisemblance narrative n’est pas le principal intérêt, mais qui donnent lieu à des réflexions drolatiques sur l’Italie des années Berlusconi, la façon dont nos sociétés dérivent, le désir, l’amour, la mort, les médias, l’incurie de la police et l’hypocrisie de la curie. Et tandis que hors les murs, la crise bat son plein, Annunziato prend goût à sa captivité et en profite pour avancer dans sa traduction.

Gauchard est un auteur qui aime à se montrer derrière ses personnages. En effet, le narrateur, omniscient et bavard, s’adresse régulièrement au lecteur (« On voudrait vous y voir » ; « Et puis chut, il y a du mouvement qui se prépare » ; « On n’a pas menti »), ou à son protagoniste (« Bravo Annunziato »). En outre, une préciosité qui frise le pastiche (« “Trois jours de chantier ?”, soliloque-t-il, le visage érubescent. ») et le recours fréquent à des verbes déclaratifs baroques (planer, affiner, symétriser, doubler) constituent un parti pris stylistique risqué, mais qui, pour surprenant que cela puisse paraître, fonctionne.

À la lecture, il se dégage une cohérence de ton qui sert l’histoire et pose une distance débonnaire entre les événements rapportés et ce que l’on peut en penser. Certes, on a parfois l’impression qu’entre deux phrases, l’auteur nous jette un regard entendu, mais ce ton singulier et empreint d’une sorte de dandysme complice fait que l’on s’attache à ce brave traducteur. Et de cela, on lui sait gré.


Crédit pour la photo à la une : © Minuit

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