Rentrée littéraire : tour d’horizon

La rentrée littéraire d’« automne » arrive décidément de plus en plus tôt. Dès ce 13 août, paraissent les livres les plus pressés. En attendant Nadeau commencera à en rendre compte avec un premier choix de critiques le mercredi 20 août. Tout au long de la fin du mois et de septembre, notre équipe partagera ses lectures, ses découvertes, ses enthousiasmes, ses analyses sur une production plus qu’intense. Si les romans foisonnent, on peut tenter de s’y repérer, comme sur une vaste carte. En guise d’introduction, à travers 107 fictions, nous vous invitons à un panorama forcément incomplet, mais qu’on espère significatif, éclairant et donnant l’envie d’aller creuser dans certains de ces livres.


Après plusieurs années de baisse des publications, les 484 romans de 2025 comptabilisés par Livres Hebdo marquent un rebond, sans toutefois approcher les 701 titres records de 2010 (459 en 2024). Contrairement à la précédente, cette « rentrée » apparaît riche en autrices et auteurs particulièrement attendus. Beaucoup ont fait le choix de thèmes assez intimes, comme si les incertitudes et les sombres perspectives pesant sur l’avenir poussaient à se pencher avant tout sur la cellule familiale ; dans la perspective de la filiation, à travers la rupture de transmission, la défaillance parentale, le défaut de protection, voire l’abandon. Dans linsistance sur l’absence des figures paternelles et maternelles, on peut lire une angoisse contemporaine, un trouble de la continuité, une épreuve de solitude. Que se passe-t-il quand les générations précédentes nous laissent nous débrouiller seuls ? Comment réagir et trouver une place, se ressaisir de soi ? On lutte. En particulier les femmes.

À côté de ces figures perdues ou fortement affirmées, les soubresauts du monde s’imposent aussi par l’évocation des guerres et de l’exil. Si la nature, le climat et les questions environnementales sont peut-être moins présentes que les années précédentes, elles s’expriment certainement avec plus de détermination et de joie, dans l’idée qu’il faut proposer, enthousiasmer plutôt qu’effrayer.

Mères

En littérature francophone, la figure de la mère semble dominer cette rentrée. Bien sûr, le thème n’est pas neuf, mais le nombre de romans qui l’explorent frappe. Emmanuel Carrère voue Kolkhoze (P.O.L), à la sienne, Hélène Carrère d’Encausse, historienne spécialiste de la Russie, nous renvoyant aux second conflit mondial et à la guerre présente en Ukraine. Dans La maison vide (Minuit), Laurent Mauvignier revient, pour la première fois explicitement, sur son histoire familiale et les figures qui la hantent. Avec Au grand jamais (Gallimard), Jakuta Alikavazovic dresse le portrait de sa mère, exilée de Belgrade qui renonce à la poésie, affrontant ainsi l’image de la disparition. Pour tenter de cerner la vie de celle qui s’est effacée par le suicide, Catherine Millet choisit comme titre le nom de sa mère, Simone Emonet (Flammarion). Régis Jauffret intitule son livre Maman (Récamier) pour souligner la découverte d’une trahison. Dans Au temps de ma colère (Verdier), Camille de Toledo essaie de comprendre sa rage de jeune homme en rupture avec son milieu. Il revient sur une double figure maternelle : femme de pouvoir, lointaine, contre « mère-maison ». Cloé Korman aborde le thème de la mère par le biais de la maternité : à travers les personnages d’une sage-femme et d’une chercheuse tombant enceinte, Mettre au monde (Flammarion) fait l’histoire du corps féminin. La Québécoise Sarah Brunet Dragon consacre également Une année terrestre (Les Avrils) à l’expérience de la maternité. Dans Le fardeau (Mialet-Barrault), Matthieu Niango explore une histoire familiale marquée par le programme Lebensborn, dont sa mère finit par lui révéler être issue.

Cette question de la mère travaille aussi plusieurs premiers romans, dont on découvrira les voix nouvelles. Comme celle de Thibault Daelman, qui raconte dans L’entroubli (Le Tripode) sa famille pauvre et chaotique, tenue à bout de bras par une figure maternelle admirable et terrible. Les mandragores (Le Panseur) de Marius Degardin décrit une fratrie livrée à elle-même dont la génitrice refait surface au bout de dix ans. La bonne mère (L’Iconoclaste) de Mathilda di Matteo expose le fossé culturel creusé entre une femme qui n’a pas fait d’études et sa fille. S’ils explorent ainsi des figures dont il faut se débrouiller, d’autres premiers romans en affrontent l’absence. On découvrira ainsi les Quatre jours sans ma mère (Philippe Rey) de Ramsès Kéfi, récit de la fugue d’une sexagénaire, ou La hideuse (Bourgois) de Reine Bellivier, qui retrace l’enquête d’une femme cherchant à comprendre pourquoi sa mère a disparu du domicile conjugal en 1950.

« Sans titre », Arshile Gorky (entre 1943 et 1948) © CC0/WikiCommons

Pères

Bien que moins présents – et souvent bien trop peu pour leurs enfants –, les pères occupent aussi leur place dans cette rentrée. Après le très remarqué Les enfants endormis, Anthony Passeron dans Jacky (Grasset) raconte le sien, en mêlant à l’émergence des jeux vidéo dans les années 1980 l’histoire d’un délitement, puis d’un abandon. Catherine Girard, fille d’Henri Girard, alias Georges Arnaud, auteur du Salaire de la peur et protagoniste du massacre d’Escoire, enquête sur son histoire familiale marquée par la violence dans In violentia veritas (Grasset). La peau dure (Flammarion) de Vanessa Schneider est le portrait d’un père à la fois brillant et toxique. Quant à Sorj Chalandon, dans Le Livre de Kells (Grasset), il raconte comment, fuyant un père raciste et antisémite, il a donné un sens à sa jeunesse à travers l’engagement dans la Gauche Prolétarienne.

Avec les figures paternelles, il faut souvent se débrouiller d’un passé qui revient ou que l’on perd. Stéphanie Chaillou et Kevin Orr, dans Revenir à Marimbault (Noir sur Blanc) et Laure (Seuil), racontent les agonies de pères renvoyant leurs personnages aux troubles du passé. Comme le narrateur du Jardinier et la mort (Gallimard) du Bulgare Guéorgui Gospodinov qui, au moment où son père atteint la fin de sa vie, s’interroge sur la façon de lui dire son amour et de s’insérer dans ses pas. Avec une fantaisie formidable, le héros du premier roman de Jean-Christophe Cavallin, Kong Junior (Seuil), affirme être le petit-fils de King Kong, mort dans un asile d’aliénés de la lagune de Venise. Lourde hérédité… Enfin, Javier Cercas élit un père maximal, le pape François, comme protagoniste d’un drôle de projet littéraire non fictionnel, en suivant Le Fou de Dieu au bout du monde (Actes Sud).

Enquêtes familiales et autobiographiques

Les questionnements du passé, des origines, prennent aussi la forme d’investigations familiales ou personnelles. Ainsi, Officier Radio (Sabine Wespieser) de Marie Richeux n’est pas centré sur son père, mais sur son oncle, officier de marine, disparu dans un naufrage. Haute-Folie (Gallimard) d’Antoine Wauters explore le poids des héritages familiaux quand ils reposent sur des non-dits et des drames tus. Dans Le bel obscur (Seuil) de Caroline Lamarche, une femme recherche les raisons pour lesquelles un de ces ancêtres fut banni de la mémoire familiale. Cela la ramène à sa découverte de l’homosexualité de son mari.

Les éditions Noir sur Blanc publient la monumentale autobiographie du grand écrivain hongrois Péter Nádas, Ce qui luit dans les ténèbres, à coup sûr un des événements de cette rentrée. Dans Pathemata ou l’histoire de ma bouche (Le Sous-Sol), liant tragique et comique, Maggie Nelson explore sa souffrance chronique et la notion de perte : de son père, d’une amie très proche, de son intimité pendant le confinement. En trente facettes, Anne Serre esquisse son autoportrait dans Vertu et Rosalinde (Mercure de France), tout comme Lydie Salvayre avec Autoportrait à l’encre noire (Robert Laffont). Allô la place (Verdier), premier roman de Nassera Tamer, ausculte, à travers son rapport à l’arabe vernaculaire du Maroc, ce qu’on hérite et ce qu’on perd en naissant dans un autre pays que celui de ses parents.

Que disent tous ces livres d’écrivaines et écrivains, confirmés comme débutants, qui reviennent sur un parent, leur famille, leur vie ? Certes, que leur parcours personnel les a conduits à ce questionnement, mais peut-être aussi que ce repli sur l’intime, le passé personnel, exprime un désarroi général mais pas toujours formulé explicitement devant un futur incertain, voire improbable. Le parent absent peut représenter le sentiment d’abandon face à des problèmes complexes, que les élites politiques, économiques et les opinions publiques traitent trop souvent par le déni et la régression.

D’autres romans se concentrent sur les étapes qui peuvent suivre la détresse : l’accent mis sur les troubles, la réaction, l’affrontement, la recherche de solutions. Heureusement, la littérature peut réagir aux angoisses et violences grâce à de multiples ressorts.

Contribuez à l’indépendance de notre espace critique

Guerres

Plusieurs livres de cette rentrée traitent directement ou indirectement des conflits qui font rage ou ont fait rage et qui dominent de manière lancinante notre actualité. Plutôt en littérature étrangère. Antonythasan Jesuthasan, dans la lignée de son flamboyant et poignant La sterne rouge, revient avec Salamalecs (Zulma) sur la guerre civile au Sri Lanka, comme V. V. Ganeshananthan avec Dans la nuit solitaire (Autrement). Arno Bertina, avec Des obus, des fesses et des prothèses (Verticales), rassemble dans un palace tunisien des mutilés de la guerre en Libye et des femmes se remettant d’opérations de chirurgie esthétique. Frédéric Paulin livre, avec Que s’obscurcissent le soleil et la lumière (Agullo), le dernier volet de sa trilogie sur la guerre du Liban.

Les guerres plus anciennes continuent également de nous hanter. Si Akira Mizubayashi, dans La forêt de flammes et d’ombre (Gallimard), explore les effets délétères de la guerre par l’histoire d’un jeune peintre mutilé en 1945, Le bonheur (La Peuplade) de Paul Kawczak recourt au fantastique et à la famille Boltanski pour faire ressentir à hauteur d’enfant l’angoisse des exactions nazies. Le catalan Gerard Guix, avec Doppelgänger (Aux Forges de Vulcain), part de la proximité des dates de naissance de Chaplin et Hitler pour faire du second un personnage grotesque. Raphaela Edelbauer concentre l’action des Incommensurables (Métailié) sur la dernière nuit, à Vienne, avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale. Les étoiles aimantes (Albin Michel) de Tommy Orange ravive le souvenir du massacre de Sand Creek (1864) et des violences subies par plusieurs générations de jeunes Amérindiens. Jayne Ann Philipps, avec Les sentinelles (Phébus), prix Pulitzer 2024, raconte comment une mère et une fille traumatisées par la Guerre de Sécession se reconstruisent dans un asile d’aliénés.

Étrangement, peu de romans de cette rentrée évoquent les guerres au Proche-Orient et en Ukraine, peut-être parce qu’elles sont trop récentes et encore en cours. On peut cependant citer L’homme qui lisait des livres (Julliard), dans lequel Rachid Benzine, à travers le personnage d’un libraire, revient sur l’Histoire de Gaza depuis 1945. Isabella Hammad, anglo-palestinienne, dans Hamlet le long du Mur (Gallimard), imagine qu’une metteuse en scène essaie de monter la pièce de Shakespeare à Ramallah avec des comédiens palestiniens. Sergueï Lebedev met en perspective l’invasion de l’Ukraine, en situant La dame blanche (Noir sur Blanc) dans le Donbass occupé par les forces pro-russes en 2014, mais aussi en rappelant les massacres commis par les nazis en ces mêmes lieux. Les nouvelles de Luxemburg (Verdier) de Maxime Ossipov, écrites avant que son opposition à la guerre en Ukraine l’oblige à émigrer, s’attachent aux maux de la société russe.

Exils

Les guerres obligent souvent à s’exiler, redoublant le traumatisme. Dire cette seconde violence, moins évidente que la première, se révèle parfois aussi essentiel. C’est ce que font, dans des tonalités différentes, décalées, plusieurs textes. On plongera ainsi dans les Salamalecs de Jesuthasan, livre en deux parties imprimées tête-bêche, sur la guerre au Sri Lanka et l’exil douloureux et loufoque en Thaïlande puis en France, ou dans le Ramsès de Paris (Seuil), d’Alain Mabanckou, qui revient sur l’émigration africaine à Paris, en choisissant le ton du conte et l’humour. Le corbeau qui m’aimait (Zulma), du grand écrivain soudanais Abdelaziz Baraka Sakin, dresse le portrait drôle et émouvant d’un migrant que l’exil dépouille de sa raison – la maladie mentale est un autre thème de cette rentrée – et, pour finir, de sa vie. Le comique semble être un moyen de traiter les difficultés de l’exil, car c’est aussi le choix de l’anglais Anders Lustgarten, dans Trois enterrements (Actes Sud), premier roman traduit par Claro. Cette satire politique raconte la lutte d’une infirmière contre la police pour donner une sépulture décente à un réfugié somalien assassiné.

Après un silence de treize ans, l’auteur de La symphonie du loup, Marius Daniel Popescu fait paraître Le cri du barbeau (Corti), dans lequel il relie à nouveau la Roumanie communiste de l’enfance à la Suisse contemporaine de l’âge adulte. Dans Ombre et Fraîcheur (Le Castor Astral), premier roman écrit en suédois, Quynh Tran raconte les tentatives d’une famille d’origine vietnamienne pour s’insérer en Finlande. Quant à Percival Everett, il réécrit avec James (L’Olivier) une fuite célèbre, celle du radeau descendant le Mississippi d’Huckleberry Finn, mais en adoptant cette fois le point de vue de Jim, l’esclave qui refuse d’être vendu. L’héroïne de Paranoïa (P.O.L) de Lise Charles, jeune actrice de série télévisée, fuit dans un autre monde, où le soupçon semble la règle, jusqu’à s’étendre à toute réalité.

Défilé d’une unité féminine des Tigres tamouls en 2002 (Killinochchi) © CC-BY-2.0/Marietta Amarcord/WikiCommons

Histoire

Qu’ils fouillent des passés individuels ou des grands événements, les romans interrogeant l’Histoire sont relativement nombreux cette année. Ainsi, dans La bibliothèque retrouvée (Zoé), Vanessa de Senarclens transforme un essai sur une bibliothèque disparue en 1945 en enquête romanesque, tandis que Kairos (Gallimard) de Jenny Erpenbeck questionne la fin de l’Allemagne de l’Est, et que, dans une nouvelle collection consacrée aux lieux abandonnés, « Locus », Simon Johannin publie Le fin chemin des anges (Denoël), consacré au bagne pour enfants de l’île du Levant. Hajar Bali, dans Partout le même ciel (Belfond), entrecroise l’amitié de trois personnages et le soulèvement algérien du Hirak.

Glen James Brown situe, lui, L’histoire de Mother Naked (Typhon) dans l’Angleterre de 1430 : un ménestrel y conte l’histoire de la destruction d’un village, sur fond de misères et d’inventions langagières. Salman Rushdie, avec La cité de la victoire (Actes Sud) invente, au Sud de l’Inde du XIVe siècle, une ville créée par une fillette, à laquelle une déesse a donné la mission de rendre les femmes égales aux hommes. David Diop, dans Où s’adosse le ciel (Julliard), fait refaire par un pèlerin sénégalais au XIXe siècle le voyage mythique qu’aurait accompli le peuple égyptien à travers le Sahara ; alors que Teju Cole, avec Vibrato (Zoé), passe le regard occidental sur les œuvres d’art au crible de l’Histoire. Par les retrouvailles d’un couple d’amants à la fin de leur vie, Je ne te verrai pas mourir (Seuil) d’Antonio Muñoz Molina évoque l’Espagne du franquisme et de la fin du XXe siècle. Bernardo Carvalho, dans Les remplaçants (Métailié), met en parallèle la dictature brésilienne avec la dystopie que lit un enfant. Quant à Ayoh Kré Duchâtelet, avec un premier roman, La grotte aux poissons aveugles (Rot-Bo-Krik), en partant du supplice de la prophétesse Kimpa Vita en 1706 par les Portugais, il « renégocie les archétypes de la bibliothèque coloniale », grâce à la science-fiction et à l’horreur.

Femmes en lutte

Les bouleversements, les violences touchent aussi les femmes au quotidien, de manière souvent moins spectaculaire que les guerres ou que ce qu’endurent les migrants, mais tout aussi réelle. La nuit au cœur (Gallimard) de Nathacha Appanah entrecroise trois cas de féminicides conjugaux, Détruire tout (Inculte) de Bernard Bourrit analyse minutieusement ce qui a rendu possible le meurtre d’une femme dans les années 1960, tandis qu’Ils appellent ça l’amour (Seuil) de Chloé Delaume ramène son héroïne, vingt ans plus tard, dans la ville où elle a subi la domination totale de son mari. La ghanéenne Peace Adzo Medie, dans Fleurs de nuit (L’Aube), ausculte les conséquences de violences masculines sur l’amitié de deux cousines. On pourra lire aussi Tressaillir (Stock) de Maria Pourchet qui aborde la difficulté de rompre, le Rêve d’une pomme acide (Quidam) de Justine Arnal, où, entre ironie et amertume, la protagoniste raconte combien elle est usée par la vie domestique avec un mari qui « autorise, contraint ou empêche », ou encore Sporen (Corti), premier roman de Julia Sintzen, dans lequel le refus d’une femme de retourner vivre avec son mari est le symptôme d’une crise plus profonde. Avec Nous serons tempête (Belfond), Jesmyn Ward poursuit son exploration des traumatismes et des non-dits de l’esclavage que subit sa jeune héroïne. L’Haïtienne Yanick Lahens décrit dans Passagères de nuit (Sabine Wespieser) deux de ses ancêtres qui surent s’émanciper avec vaillance. Leila Guerriero, dans L’Appel (Rivages), revient sur le destin d’une jeune révolutionnaire torturée par les militaires argentins. Avec Flamme, Volcan, Tempête (Le Sous-Sol), Pierre Boisson mène l’enquête sur la personnalité incandescente et tourmentée de Christine Pawlowska, autrice à vingt-deux ans d’un unique livre, Écarlate, réédité par le même éditeur.

Dans ces livres, les femmes se battent. Comme dans d’autres où leurs forces s’affirment plus librement. Le titre de celui de Laura Vazquez, Les Forces (Le Sous-Sol), sonne ainsi comme un programme. L’autrice s’y approprie le roman d’apprentissage pour décrire avec énergie le chemin initiatique et politique suivi par sa narratrice. Fatima Daas, dans Jouer le jeu (L’Olivier), narre la trajectoire d’une jeune fille de banlieue à qui s’ouvre la possibilité de ne pas suivre un destin tout tracé. L’héroïne du premier roman de Louise Rose, Les Projectiles (P.O.L), se lance dans une échappée belle racontée à rebours. Combats de filles (La Croisée) de Rita Bullwinkle présente huit jeunes boxeuses luttant avec rage sur le ring comme dans la vie. Les 8 vies d’une mangeuse de terre (Phébus), premier roman de Mirinae Lee, fait le portrait d’une retraitée dont la vie romanesque aurait épousé l’Histoire de la Corée pendant près d’un siècle.

Contribuez à l’indépendance de notre espace critique

Natures, futurs

La dystopie, massivement investie ces dernières années par des écrivains de littérature générale ne sachant pas toujours quoi en faire, apparaît en net recul. Peut-être les avenirs obscurs paraissent-ils trop probables pour garder un fort intérêt romanesque. Néanmoins, Laurent Gaudé, avec Zem (Actes Sud), propose la suite de Chien 51, dans une ville où « le confort des uns semble bâti sur la vie de milliers d’autres ». Toute ressemblance… Avec Cantique du Chaos (Robert Laffont), Mathieu Belezi se lance dans un road novel désespéré par un monde parti à vau-l’eau. Le roman se veut en même temps un hommage à la littérature nord et sud-américaine. De l’autre côté de la vie (Calmann-Lévy) de Fabrice Humbert décrit également un voyage, à travers une France déchirée par la guerre civile.

Une vision du monde plus optimiste est possible. Sarah Chiche offre ainsi à ses personnages une seconde chance d’Aimer (Julliard), alors qu’Isabela Figueiredo, en plaçant Un chien au milieu du chemin (Chandeigne et Lima) permet à ses protagonistes solitaires de s’ouvrir à l’autre et au monde, et que Victor Pouchet, avec Voyage voyage (Gallimard) leur fait surmonter un deuil par la légèreté et la fantaisie. Fantaisie dont Jeff Noon est un maître ; avec Steve Beard, dans Gogmagog (La Volte), il imagine une navigation sur un fleuve qui se révèle aussi être le fantôme d’un dragon long de cent kilomètres.

Un certain nombre d’autrices et d’auteurs inscrivent au centre de leurs livres la nature et la manière de l’habiter sans la détruire, ce qui devrait être la préoccupation majeure, sinon de la fiction, des sociétés réelles. C’est ce que pense la protagoniste des Dernières écritures (P.O.L) d’Hélène Zimmer. Professeure, elle impose à ses élèves la lecture d’une somme sur le dérèglement climatique : cela lui vaut un procès. Pour décrire des modes de vie porteurs de souplesse et de joie, Antoinette Rychner dans Ma forêt (Fugue) et Marc Graciano dans Celle-qui-sait-les-herbes (Le Tripode) se transportent dans la Préhistoire. Vincent Message, avec La Folie Océan (Seuil) met en évidence les conflits que provoque la crise écologique. Grégory Le Floch, dans Peau d’ourse (Seuil) recourt au fantastique pour exprimer le sentiment de rejet d’un personnage queer qui trouve refuge dans les montagnes.

Forêt © CC BY-2.0/André Mouraux/Flickr

À travers la transhumance, Kapka Kassabova ausculte dans Anima (Marchialy) le lien entre nature sauvage et être humain. Dans son premier roman, Malu à contre-vent (Le Nouvel Attila), Clarence Angles Sabin confronte avec originalité son héroïne à une vie fruste et à l’angoisse des dérèglements climatiques. Wendy Delorme, autrice du Parlement de l’eau (Cambourakis) fait des rivières et des fleuves des personnages, tandis que Gwenaël David, dans Je ne suis pas une libellule (Cause perdue) s’interroge sur les notions de territoire et de nature sauvage ou domestiquée. Les trois cœurs du poulpe (La Baconnière), de Raluca Antonescu, raconte le naufrage d’un hôtel de luxe aux Açores, symptôme du rapport déréglé à la nature. Marie Charrel, avec Nous sommes faits d’orage (Les Léonides), envoie son héroïne dans un village des montagnes sauvages d’Albanie, y nouant son destin avec celui d’une autre femme. Le premier roman de la suédoise Annika Norlin, La colonie (La Peuplade) voit sa protagoniste en burn-out faire une expérience communautaire dans l’arrière-pays, à la recherche du bonheur.

Enfin, plusieurs livres lient cette question de la nature à celle du futur. Premier roman, La déroute (Buchet-Chastel) d’Emma Pattee met en scène une jeune femme enceinte confrontée à un tremblement de terre en Oregon, dans l’ambivalence entre destruction et apparition de la vie. À travers l’éruption d’un volcan qui en 1815 provoqua froid et obscurité, Tambora (Verdier) d’Hélène Laurain entrelace également la crainte de la catastrophe environnementale à l’enfance comme incarnation de l’espoir. Le monumental Tovaangar (Rivages) de Céline Minard imagine une cohabitation utopiste de formes de vie diverses sur le territoire post-apocalyptique de Los Angeles. De même, la primo-romancière Lucie Heder, dans La grande verdure (La Volte), décrit une communauté laissant place après la catastrophe à la reconstruction et aux émotions. Après sa novella Rossignol, l’attendu premier roman d’Audrey Pleynet, Sintonia (Le Bélial ‘) se déroule dans un univers qui a su s’affranchir des luttes armées et des catastrophes écologiques grâce aux nanotechnologies. Ce qui ne résout pas tous les problèmes…

Tous ces livres parlent d’hybridation, de fluidité, de décalages de genre et d’amour ; quelques autres traitent explicitement de transition. L’Islandaise Auður Ava Ólafsdóttir dans DJ Bambi (Zulma) met en scène une sexagénaire décidant qu’il est temps que son corps corresponde à son genre. Au contraire, le héros de Transatlantique (La Contre Allée) de Camille Corcéjoli s’engage dans un road trip à travers les États-Unis pour se défaire de ses seins. Le personnage principal de Paul prend la forme d’une fille mortelle (La Croisée) d’Andrea Lawlor a le pouvoir, pour séduire, de se transformer en fille. Enfin, l’Argentine Gabriela Cabezón Cámara, dans Les griffes de la forêt (Grasset) nous raconte l’histoire picaresque de la « nonne-soldat », conquistador réel né dans un corps de femme, qui fit le choix de la forêt et des Indiennes.

Quels que soient nos choix, librement et l’esprit ouvert, perdons-nous dans les livres de cette rentrée !