De nouveaux élus dans une vieille institution

Les Gilets jaunes lui ont préféré l’Élysée ou les ministères. Les électeurs semblent ne plus vraiment l’apercevoir dans l’ombre des présidentielles. On dit ses troupes caporalisées et ses tribuns impuissants. Apparemment dévitalisée par le quinquennat et privée de ses pouvoirs au profit de l’exécutif, l’Assemblée nationale a tout d’un astre mort. Une récente enquête sociologique sur les députés de la dernière législature apporte pourtant des clés de compréhension des cinq dernières années. L’actuel président de la République avait fondé son projet sur une idée simple : changer les têtes pour faire de la politique autrement. Alors que les législatives approchent, un bilan de cette promesse s’imposait.


Étienne Ollion, Les candidats. Novices et professionnels en politique. PUF, 304 p., 22 €


En 2017, à entendre le candidat Macron, il suffisait de changer les têtes pour que tout changeât. Se défaire des « professionnels » de la politique pour faire, enfin, de la politique autrement. Avec 72 % de nouveaux membres, le renouvellement de l’Assemblée nationale excéda celui de 1958. Cinq ans plus tard, le maintien des habitudes semble pourtant l’avoir emporté. On observe un renforcement de l’exécutif, et une chambre à la majorité obéissante.

Les candidats. Novices et professionnels en politique, d'Étienne Ollion

Devant l’Assemblée nationale (2017) © Jean-Luc Bertini

Sociologue à l’Assemblée nationale avant 2017, puis pendant toute la durée de l’actuelle législature, Étienne Ollion a pu réaliser une enquête in vivo avec l’irruption de ces nouveaux députés. Les novices ont échappé au phénomène structurant de la « file d’attente des postes politiques », concept nodal de l’ouvrage. Car, avant de parvenir aux responsabilités, le personnel politique français patiente. Parfois longuement. Entre 1978 et 2012, on assiste à un doublement du temps passé en politique avant d’accéder à la députation : en moyenne, douze ans comme permanent de parti ou collaborateur d’élu. Cette file d’attente « socialise, sélectionne et individualise ». Traditionnellement, le personnel politique se conforme à une culture politique et se discipline avant d’atteindre une certaine envergure. Plus que des qualités exogènes au champ politique, la sélection s’opère sur un patient travail de présence et d’implication dans les structures. Autrement dit : pour réussir en politique, il faut manifester des qualités… politiques.

En 2017, la création de La République en marche va fédérer celles et ceux qui, tout en souhaitant s’engager en politique, n’étaient pas disposés à en payer le coût d’entrée : le temps. En lisant Ollion, on comprend mieux l’attrait soudain de LREM. Le nouveau parti représenta la promesse de court-circuiter la file d’attente. De fait, la majorité est composée d’éléments venant du Parti socialiste ou des Républicains qui se sont servis de LREM pour couper la file au lieu de continuer à compter le temps.

Pourtant, certains de ces nouveaux venus ne sont pas passés par le long et peu gratifiant cursus honorum offert par les partis traditionnels. À commencer par Emmanuel Macron lui-même. On se rappelle la surprise des Français devant ces nouveaux députés mathématiciens, sportifs, chefs d’entreprise. Autant de gens désireux de s’engager en politique, sans patienter. Premier constat : la promesse d’accéder vite à la députation a suscité un appel d’air en direction des classes supérieures. Peu enclines à investir leur temps, celles-ci avaient jusque-là délaissé l’activité politique. La promesse du « contournement de la file » les fait venir en 2017 et aboutit à cette assemblée à la fois « bourgeoise et socialement la plus homogène depuis plus d’un siècle ».

Les candidats. Novices et professionnels en politique, d'Étienne OllionLas, peu au fait des us et coutumes de la politique parlementaire, les nouveaux venus n’en maîtrisent ni les codes ni la langue. Les règles du jeu leur sont opaques, les coups à jouer leur échappent. D’un côté des aguerris, de l’autre des candides, aisément neutralisés par les premiers. Les nouveaux peuvent maîtriser le fond d’un sujet, mais ils ne savent pas « faire de la politique » comme le dit une députée LREM (15 ans militante au PS) dans l’un des entretiens lumineux et parfois très drôles qui émaillent l’ouvrage. Vite écartés des postes à responsabilités par des membres plus au fait des rouages, les débutants se heurtent à des institutions établies. Cette confrontation aux structures n’a pas manqué de susciter diverses frictions et boulettes, baptisées « couacs » par une presse politique de plus en plus attentive à la stratégie. Gaffes et autres coups de Trafalgar sont l’autre nom d’une difficile acclimatation à des mœurs inconnues. Si l’on ajoute à cela le caractère chronophage et discipliné imposé par l’activité parlementaire, le sociologue observe une « désillusion » de ces nouveaux députés que leurs carrières professionnelles prédisposaient peu à attendre et encore moins à obéir.

Deuxième constat : moins les députés sont expérimentés, plus ils sont insignifiants face à l’exécutif. La promesse de changement débouche sur un rétrécissement social et un renforcement du présidentialisme. Paradoxalement, l’ouvrage peut se lire comme un plaidoyer pour la file d’attente. Patienter dans la file contraint à courber l’échine mais fournit des clés pour peser plus tard. Certes, l’attente « discipline et enseigne un sens des limites » mais celles et ceux qui la suivent ont pu aussi être les plus remuants des députés, à preuve les « frondeurs » socialistes de la législature précédente. Pour jouer des coups, encore faut-il maîtriser les règles du jeu. Le constat pourra sembler mélancolique : soit des ingénus, soit des professionnels de la profession.

Devant cette alternative désespérante, soulignant les limites du « dégagisme », l’auteur invite à des réformes institutionnelles. L’analyse sociologique a ici l’intérêt de compléter les diagnostics des politistes sur l’actuelle faiblesse de l’Assemblée nationale. Le manque de compétences des uns rencontre des réformes institutionnelles qui ont de toute manière accentué la présidentialisation du régime. L’auteur indique pour piste de réforme le renforcement des moyens en personnel pour mener à bien commissions d’enquête, pouvoir effectif de contrôle, expertise. La solution s’inspire de la Chambre des représentants aux États-Unis, dont l’armée d’assistants permet de contrebalancer les hauts fonctionnaires de l’exécutif. L’idée n’est pas tout à fait neuve mais elle n’a rien d’irréalisable. Peut-être resterait-elle incomplète sans l’instauration de la proportionnelle, un désalignement de l’élection présidentielle sur les législatives, une sortie du monopole du gouvernement sur les lois de finances. Mais s’agirait-il encore de la Ve République ?

En sociologue, Étienne Ollion ne s’aventure pas sur ce terrain et nous invite plutôt à méditer sur cette société de la file d’attente. Notre représentation nationale offre l’image d’un monde où l’absence de places conduit à ne pas trop se manifester tout en obligeant à jouer des coudes. Sans trop s’interroger sur la finalité de faire la queue.

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