Chronique pré-électorale (1)

« Il y a eu les mitterrandistes du 11 mai,
il n’y aura pas les macronistes du 24 avril »

Charles Bonnot chronique

Maud Roditi pour EaN

Tandis que le Parti socialiste préparait avec un enthousiasme mesuré son beau moment d’alliance populaire et arithmétique, Emmanuel Macron et les siens avançaient d’un pas guilleret vers des échéances plus lointaines, puisqu’il était question le 20 janvier des investitures du parti pour les législatives du mois de juin. Avec l’aplomb de ceux qui savent où ils vont, ou qui refusent d’admettre qu’ils l’ignorent, Benjamin Griveaux, porte-parole du mouvement « En marche ! », a déclaré : « Il y a eu les mitterrandistes du 11 mai, il n’y aura pas les macronistes du 24 avril [1]. »

On pourrait d’abord s’étonner de voir un courant aussi déterminé à se démarquer du socialisme parler ainsi de sa figure tutélaire, mais différents phénomènes rhétoriques et discursifs se jouent ici. Après tout, on pourrait affirmer que Benjamin Griveaux convoque Mitterrand pour mieux s’en distancier : contrairement à ce dernier, Emmanuel Macron ne cèdera pas aux flatteries des courtisans et n’acceptera ni « accord d’appareil » ni ralliement de dernière minute.

En réalité, il s’agit plutôt d’un rapprochement que d’une mise à distance, par le biais de ce que Laura Calabrese [2] nomme les « héméronymes », qui, par condensation sémantique, désignent un événement simplement par sa date : 21-avril, 11-septembre, 13-novembre, 14-juillet, etc.

Calabrese explique encore que le « nom d’événement » (qui, quand il n’est pas héméronyme, peut être dérivé d’un toponyme, comme Tchernobyl ou Outreau, ou d’un groupe nominal comme « la vache folle ») sert, certes, à désigner un phénomène du monde jugé saillant d’un point de vue social ou historique, mais que dans la langue il a également pour effet d’événementialiser ledit phénomène, du fait de l’emploi d’une structure de désignation reconnaissable — en d’autres termes, si on commence à baptiser un phénomène, on tend à le rendre saillant et à l’inscrire dans la mémoire collective, donc à le faire exister comme événement. On peut par la suite ranimer cette mémoire en assimilant des phénomènes nouveaux à des structures connues (Fukushima comme « Tchernobyl japonais », le 13-novembre comme « 11-septembre français », etc.).

Les héméronymes employés par Benjamin Griveaux ont ceci de curieux qu’ils ne sont pas fondés sur la date d’un événement mais, dans un cas comme dans l’autre, sur son lendemain : il parle ici du 11 mai, lendemain du deuxième tour de la présidentielle de 1981, et du 24 avril, celui du premier tour de l’élection de 2017. On peut douter de l’efficacité rhétorique d’un tel décalage temporel, susceptible de provoquer un enthousiasme comparable à celui qui vous anime quand vient le moment de faire le ménage du 2-janvier, du 15-juillet ou du 26-décembre.

Cela étant, malgré l’asymétrie revendiquée dans la structure de la phrase (il y a eu X, il n’y aura pas X’), le rapprochement opère pourtant bel et bien, au moins dans les présupposés : comme Mitterrand en 1981, Macron l’emportera en 2017, nous dit, fort naturellement, son porte-parole. Quant à savoir ce que pourrait bien être le macronisme, c’est là une autre question.

Benjamin Griveaux emploie donc deux « déclencheurs mémoriels » et place son candidat sur les traces de Mitterrand, en sélectionnant l’aspect de son histoire qui l’intéresse, celui de vainqueur d’une élection. On rappellera néanmoins à toutes fins utiles que la présidentielle compte deux tours et que le 24 avril n’est pas le 7 mai (ni le 8). On soulignera aussi les risques inhérents à l’écriture historiographique par anticipation et au « pari épistémique » que suppose tout emploi du futur. Et on remarquera enfin que, si les macronistes venaient à manquer à l’appel à l’issue des législatives, il sera toujours temps pour Benjamin Griveaux d’évoquer de Gaulle. Après tout, le deuxième tour est prévu pour le 18 juin.


  1. Patrick Roger, « Emmanuel Macron lance un appel à candidature pour les législatives », Le Monde, 20 janvier 2017.
  2. Laura Calabrese, L’événement en discours : Presse et mémoire sociale, Academia/L’Harmattan, 2013.
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