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Au Grand Palais, une belle rétrospective rend hommage et justice au photographe Seydou Keïta, portraitiste des habitants de la capitale malienne tout juste sortis de la période coloniale.


Exposition Seydou Keïta, Grand Palais. Jusqu’au 11 juillet.


Il est assez rare qu’un musée parisien expose de la photographie africaine. Il l’est encore plus que l’un de ses représentants soit mis à l’honneur non seulement dans un lieu prestigieux et grand-public, mais par une exposition bien faite, qui laisse le regard du visiteur se promener librement et entrer dans un monde. On aurait néanmoins tort d’aller au Grand Palais pour l’unique raison de voir un « photographe africain » et de ne prêter attention à ses images que pour ce seul motif – on ne ferait pas cet affront à un photographe venu d’Europe.

Seydou Keïta est né en 1921 à Bamako, dans ce qui s’appelait encore le « Soudan français ». Il n’était pas de famille artiste. Son oncle lui offrit son premier appareil photo. C’était parti : à une époque où fleurissaient les studios à Bamako, il se mit à tirer le portrait de ses voisins.

Sans titre, 1958. Genève, Contemporary African Art Collection. © Seydou Keïta SKPEAC / photo courtesy CAAC – The Pigozzi Collection, Genève.

Sans titre, 1958.

Les clichés de ces studios populaires exposés dans la dernière salle de l’exposition le prouvent, Seydou Keïta avait une patte que la flopée de portraitistes du dimanche n’avaient pas. Chez lui, la photographie d’usage, le portrait de famille ou d’amis, celui pour lequel on venait au studio endimanché, cet art vulgaire devient un art à part entière. Seydou Keïta varie les points de vue, les mises en scène, les jeux de lumière. Au fur et à mesure de cette exposition, la première de cette ampleur en France depuis celle de la Fondation Cartier en 1994, les étudiants, les pères de famille, les copines et les enfants de Bamako forment un microcosme du seul fait d’avoir été enregistrés et mis en scène par le même œil. C’est toute la vie de Bamako du début des années d’indépendance à la fin du XXe siècle qui apparaît à travers de grands tirages datant des années 1990 et de plus petits, plus anciens, comme si le studio de Seydou Keïta était totalement intégré à son quartier, situé près de la gare, rassemblant habitants et gens de passage.

Que se passe-t-il, alors, pour ce policier qui nous regarde d’un air fatigué ? Et d’ailleurs, est-ce bien un policier ? Car les mêmes robes, les mêmes colliers, la même radio apparaissent d’image en image, utilisés comme accessoires par le photographe pour habiller ses sujets. Comme si on venait chez Seydou Keïta pour obtenir son portrait, laisser une trace à sa famille ou à une quelconque postérité, mais aussi pour jouer et rire de son travestissement. Tout juste à la sortie de la longue période coloniale, l’artiste profite aussi de ces objets pour s’amuser à équiper les gens de Bamako de montres, de ceintures et de chapeaux, renversant ainsi les signes d’apparat venus des Européens, et montrant de surcroît leur appropriation par les décolonisés.

Sans titre, 1959 (Autoportrait). Genève, Contemporary African Art Collection © Seydou Keïta / SKPEAC. Photo courtesy CAAC - The Pigozzi collection, Genève.

Sans titre, 1959 (Autoportrait).

La fin de l’exposition propose deux films où Seydou Keïta est interrogé. Sur sa technique, le sens qu’il donne à la photographie, il ne dit pas grand-chose : il fait des portraits des gens de Bamako, voilà tout, n’allez pas chercher plus loin. Allons. Quelque part parmi les grands tirages, il y a une jeune fille en robe blanche, un pendentif au cou, photographiée de trois quarts, le regard lointain, désireux ou étonné. Elle est émue, et c’est tout l’art de Seydou Keïta qui la rend émouvante – qui rend magnifique ce qui s’est passé dans un studio de Bamako il y a cinquante ans.


Crédits : Genève, Contemporary African Art Collection ©Seydou Keïta / SKPEAC. Photo courtesy CAAC – The Pigozzi collection, Genève.

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