« Un cœur noir, secret » : entretien avec Laurent Mauvignier

En 2022, Laurent Mauvignier avait accordé à la revue La Femelle du Requin un entretien dont nous publions ici des extraits. Il y évoquait entre autres le livre qu’il était en train d’écrire et qui allait devenir La maison vide. Retrouvez l’intégralité de l’entretien dans le numéro 57 de La Femelle du Requin, disponible en librairie et en ligne.


La Bassée, lieu récurrent dans vos livres, apparaît d’abord par petites touches, puis vous y situez l’action de Des hommes et d’Histoires de la nuit. Pourriez-vous nous parler de ce territoire littéraire ?

Lors de l’écriture de mon premier livre, Loin d’eux, je pensais à mon village de Touraine, Descartes, mais je ne voulais pas le nommer, pour ne pas imposer la vision que j’en avais. Il me fallait donc inventer un nom. Mais, à l’époque, je n’avais pas le projet que cet endroit revienne d’un livre à l’autre, je ne pensais même pas être publié. J’avais l’impression qu’évoquer un lieu réel allait me brider, m’imposer une sorte d’autocensure. J’ai choisi le nom de La Bassée parce que je cherchais à exprimer une certaine horizontalité. Quand j’étais gamin, j’avais des voisins qui avaient des teckels – je fonctionne avec des schémas de pensée un peu idiots, parfois ! –, d’où l’idée du basset. Quand je pense à Descartes, je vois l’horizontalité de la nationale, les routes de campagne… D’autres éléments s’y sont ajoutés, par exemple Louve basse de Denis Roche. J’ai choisi ce nom en vérifiant qu’il en existe quatre ou cinq en France, souvent des lieux-dits. Mais la vraie ville de La Bassée existe, elle est située dans le Nord, et les gens de là-bas pensent toujours que j’en viens. Or, j’étais plutôt intéressé par la banalité du nom, avec toujours l’idée d’être en bas, et par le fait qu’il y en a plusieurs en France. Au fil des livres, j’ai eu envie d’aller dans d’autres lieux, de quitter ce point d’ancrage. Mes romans se séparent entre ceux qui sont liés à la campagne, à l’imaginaire de La Bassée, et ceux tournés vers l’extérieur – Autour du monde, Dans la foule – qui ont cherché à sortir du huis clos familial. Des hommes est tellement lié à mon père, à des oncles, à mon village, que je ne pouvais pas faire autrement que de le situer à La Bassée, qui pourrait donc être Descartes, bien que je sois toujours incapable de l’appeler par son vrai nom. Pas par un excès de pudeur, non, mais parce que ce serait une sorte d’abus de pouvoir de désigner les habitants de Descartes, de m’approprier leur réalité. Au nom de qui ou de quoi pourrais-je me prévaloir de parler de cet endroit ? Je ne veux pas stigmatiser qui que ce soit. Ce lieu fictif me permet de parler de quelque chose de collectif sans me brider, mais sans non plus montrer du doigt – car même avec le filtre de la fiction, ce n’est pas simple d’aller vers un maximum de sincérité sans se laisser enfermer ni stigmatiser les autres. Aujourd’hui encore, le livre que je suis en train d’écrire [La maison vide] et qui au départ portait sur des questions plutôt autobiographiques est lié à La Bassée.

La maison vide, laurent mauvignier
Le clocher de l’église Saint Waast de La Bassée © CC BY-SA 2.0/Pierre André Leclercq/Flickr

En lisant votre premier roman, Loin d’eux, on a l’impression que vous posez les bases de tout un édifice à venir, pas seulement avec La Bassée…

On ne peut le savoir qu’a posteriori. Mais les dernières paroles du livre sont prononcées par Céline, qui s’adresse à Luc, son cousin mort. Je ne me suis rendu compte que longtemps après que Céline est bien sûr aussi le nom d’un écrivain. En revanche, je sentais déjà, même confusément, qu’il y avait quelque chose de programmatique dans le fait de poser l’écriture comme lieu où l’on s’adresse aux morts et où les morts peuvent répondre. Au fur et à mesure, d’un livre à l’autre, des motifs se sont déployés, comme des notations musicales revenant, des thèmes. C’est pourquoi avec La Bassée, ce n’est pas tant un édifice que le début d’un écheveau, d’un entrelacement d’images récurrentes qui se tissent. C’est vrai d’un livre à l’autre, des livres entre eux, mais c’est vrai surtout à l’intérieur même d’un livre, qui naît justement de la rencontre de deux images nettement séparées au départ ; je peux avoir en tête deux ou trois images qui ne sont pas connectées entre elles, et je dois alors écrire le livre pour trouver le chemin qui les relie. Par exemple, la scène de mariage que je suis en train d’écrire existait déjà sous une forme réduite dans Retour à Berratham. Cela m’arrive à chaque livre de reprendre quelque chose que j’avais raté ou seulement esquissé dans un livre précédent. Une fois, en écrivant une page, j’ai eu l’impression de la piquer à quelqu’un, pour m’apercevoir que c’était une page que j’avais écrite dix ans plus tôt, et que j’ai retrouvée dans mes brouillons. Je l’ai gardée telle quelle. Dans Continuer, même si j’avais lu le fait divers dans un journal et que j’étais imprégné de cette histoire de cheval et de montagne, ce qui a vraiment déclenché l’écriture, c’est l’image d’une femme en train d’éteindre sa clope dans un cendrier. Comment relier les deux ? Il m’a fallu écrire le livre pour me débarrasser de cette question, qui a très vite viré à l’obsession.

Vous avez fait les Beaux-Arts : êtes-vous devenu écrivain pour animer toutes ces images ?

Non, j’avais commencé à écrire avant les Beaux-Arts. La mort de mon père, quand j’étais adolescent, a tout remis en question. Le jour même de sa mort, j’ai voulu écrire sur son suicide, sur ce qui venait de se passer. Mais soudain l’obscénité et la prétention de l’écriture m’ont saisi, ça m’a paru tellement ridicule, oui, prétentieux et infâme, que j’ai tout arrêté, à seize ans, en me disant que plus jamais je n’écrirais. Pendant des années j’ai tout fait pour ne pas écrire, l’idée me terrorisait. Les Beaux-Arts sont venus comme ça. Mais au fil du temps, j’ai commencé à mettre des mots dans mes tableaux, à découper mes vieux manuscrits pour les intégrer dans des toiles, puis j’ai commencé des textes expérimentaux avec des collages. Puis des petits textes, très avant-gardistes. En fait, j’ai recommencé à faire de l’écrit, pas encore de l’écriture, mais à faire de l’écrit, des trucs poético-avant-gardistes. L’envie est revenue, lentement, comme une convalescence.

Jeff, le personnage de Dans la foule, refuse lui aussi d’écrire après la mort de son père, saisi par « l’impossibilité et la honte »…

J’étais chez ma mère le soir du drame du Heysel, en 1985, et on l’a vu à la télé. C’était deux ans après la mort de mon père, et je me souviens de la réaction de ma mère, réaction de dégoût et de colère devant cette violence. Notre famille avait elle aussi été traversée par une grande violence, il y avait un parallèle, quelque chose qui reliait une part collective et une autre, autobiographique, que le souvenir de ma mère face aux images télévisées a suffi pour réactiver au moment où j’ai commencé le livre. Dans la foule fait partie des livres où un truc énorme comme le Heysel me permet de balancer deux phrases par lesquelles de l’intime peut se dire. De ce point de vue, Jeff est un peu un double. Mais ce livre essaie aussi de répondre à des questions plus littéraires : après plusieurs huis clos, j’avais envie d’un livre plus international, moins enfermé, j’allais dire, moins français. C’est le premier livre où j’ai essayé de sortir de La Bassée, mais c’est paradoxalement l’un de ceux qui m’y ramènent. Un stade, même avec 60 000 personnes, reste un endroit clos. En écrivant Autour du monde, je me suis fait prendre au même piège. Je me revois avec mon planisphère en train de comprendre, au bout de 500 pages, que j’étais en train de penser la planète comme une maison avec des pièces, comme je l’ai fait dès mon premier livre. C’est une question de structure mentale, la mienne est fermée, c’est une maison. Même dans ma façon d’ouvrir, ça reste une maison avec des pièces, des couloirs, des fenêtres peut-être, mais l’extérieur est vu de l’intérieur.

La maison vide, laurent mauvignier
Extrait d’une vidéo tournée le mercredi 29 mai 1985 à Bruxelles, à la veille de la tristement célèbre finale de la Coupe des champions entre la Juventus et Liverpool au stade du Heysel © CC)BY-SA-4.0/Simone Ramella/Flickr

En quoi écrire sur votre père immédiatement après sa mort vous a paru infâme ?

Il faut beaucoup de temps avant de comprendre que l’écriture ne répare rien, ne sauve rien, qu’on n’expliquera rien car on ne sait rien. C’est seulement une fois qu’on a accepté cette idée que quelque chose peut commencer. Un de mes problèmes fondamentaux est que, dès l’enfance, on m’a appris que pour ne pas être ouvrier il fallait être bon à l’école, bon en français, et que le langage servait à ne pas être comme mes parents, à quitter le monde ouvrier, à le trahir pour rejoindre le monde du pouvoir et celui de la domination. J’ai été souvent malade lorsque j’étais enfant, on allait ma mère et moi dans les hôpitaux, et je voyais la façon dont les médecins s’adressaient à elle. Ces gens, oui, presque tous, me foutaient une haine – je crois que j’ai découvert la haine à l’hôpital, dans la condescendance des médecins envers ma mère… Ils se servaient du langage pour asseoir leur domination. Je lui en voulais à elle d’être impressionnée, fascinée, restant à sa place car elle ne savait pas parler et n’aurait surtout jamais osé. C’était terrible. À seize ans, je me suis vu en train de mimer ces gens-là par l’écriture, et j’ai trouvé ça infâme. Infâme, oui. Je déteste la façon dont beaucoup jouent à l’écrivain. Pour moi, l’écriture doit être exactement le contraire d’une position surplombante ou dominatrice. Il faut du temps pour accepter de prendre le problème par en-dessous, accepter de ne pas réussir à dire les choses, accepter de travailler à partir de ses manques, ses échecs ; c’est seulement à partir de là qu’on peut commencer à travailler.

[…] J’ai depuis toujours affirmé la volonté de changement comme moteur d’écriture.

Tous les mercredis, notre newsletter vous informe de l’actualité en littérature, en arts et en sciences humaines.

Cette volonté de changement vous a-t-elle aussi conduit à vous essayer au thriller avec Histoires de la nuit ?

C’est encore un autre point de départ : j’avais écrit un scénario d’une trentaine de pages pour un projet de film, mais parce que l’intrigue était tellement banale, déjà vue et revue au cinéma, j’ai eu envie d’en faire un roman. Je me suis donné comme contrainte d’écrire dix pages par scène du scénario. Or, il y avait des scènes où il ne se passait rien. Un personnage arrive, il ouvre une porte : il fallait que je me débrouille pour que ça fasse dix pages. J’étirais et j’étais obligé d’inventer d’où venait le personnage, etc. Je pensais ne rien apprendre en l’écrivant puisque j’avais déjà le scénario, alors que c’est peut-être mon livre le plus personnel et celui qui m’a le plus surpris. Au bout de trois cents pages, j’ai pensé que j’écrivais sur la violence et les femmes. Il m’a fallu arriver à la dernière page du roman pour réaliser que le vrai sujet était le parricide. C’est apparu d’un seul coup, comme en développant une photo argentique : on sait ce qui va apparaître mais on ne sait pas vraiment de quoi ça aura l’air.

Le personnage d’Ida était-il présent dès le début ?

Oui, mais il n’avait pas la place qu’il a finalement prise. C’est très jouissif : j’écrivais sur le personnage de Marion, et j’ai découvert l’origine de l’enfant tout d’un coup, comme le lecteur la découvre. J’ai vraiment eu l’impression que le livre se trouvait lui-même, qu’il apparaissait au-delà d’une question scénaristique, c’est en écrivant le livre qu’il trouve lui-même ce qu’il est, le pourquoi de son existence.

Contribuez à l’indépendance de notre espace critique

Étirer le temps, cela servait aussi le suspense ?

La peur devant une fiction n’est pas la peur que je ressens en situation de danger. Je voulais interroger la fiction et sa capacité à traquer et à restituer quelque chose du sentiment vrai de la peur. La fiction délaisse habituellement la durée, pour des raisons d’efficacité. Le montage au cinéma, les chapitres dans les livres, rassurent, rappellent que nous sommes dans une fiction. Dans la vie, le temps se déroule sans coupure ni musique, le climat s’installe dans la durée : c’est ça que je voulais explorer. J’ai beaucoup pensé à l’avant-dernier film d’Elia Kazan, Les visiteurs, tourné en 16 mm, alors qu’il s’était éloigné d’Hollywood. Le film m’a intéressé pour son côté intimiste, pour la manière dont il étire la durée. Cela correspond aussi à une étape dans mon écriture. J’ai de plus en plus l’impression que je commence à écrire sur un petit carré de papier que je déplie, en quatre, en huit, en seize, qui s’ouvre à l’infini. Avec Histoires de la nuit, tout pouvait se déplier à l’infini.

Vous parliez tout à l’heure d’enfermement. C’est un dépliage infini dans l’enfermement ?

Oui. C’est comme ça qu’on devient complètement cinglé ! J’ai toujours trouvé magnifique l’idée de Faulkner : « J’ai découvert qu’il valait la peine d’écrire sur mon petit timbre-poste de terre natale et que je ne vivrais jamais assez longtemps pour l’épuiser. » mais je ne la comprenais pas complètement, alors que maintenant je commence à l’éprouver dans l’écriture. Pour le livre que je suis en train d’écrire, j’avais une idée, un sujet. Je voulais d’abord parler un peu de l’arrière-grand-mère, mais au bout de deux cent vingt pages, je suis toujours avec elle et je n’ai pas vraiment commencé mon histoire. Les détails se déplient, c’est une sensation très forte, vertigineuse, et qui nous ouvre à une aventure, à l’inconnu.

À propos de la façon dont vous dilatez le temps dans Histoires de la nuit, on pense à un écrivain que vous citez dans l’épigraphe du Lien, Javier Marías. Pour Demain dans la bataille pense à moi, par exemple.

C’est un auteur qui compte toujours pour moi. L’autre grand espagnol selon moi, c’est Antonio Muñoz Molina, que je n’ai découvert qu’après avoir commencé à écrire. Mais à mes débuts, j’avais lu Javier Marías, qui répondait à des problématiques dont je me sentais proche. Quand on parlait à ma génération de littérature étrangère, c’était forcément de littérature américaine. Celle-ci me plaît beaucoup sur certains points, mais elle me déplaît sur d’autres. J’aime beaucoup Joyce Carol Oates, par exemple, même si je n’aime pas tous ses livres, elle en a énormément écrit. Elle a de très grands livres, elle manifeste un vrai souci de l’écriture, ce qui n’est pas le cas de tous les Américains. J’avais trouvé que Javier Marías alliait quelque chose d’assez proustien, proche de Claude Simon, et le romanesque. Sans rien trahir de l’exigence littéraire, mais sans rejouer les avant-gardes ou tomber dans le côté narcissique d’une psychologie facile. Cette voie me semblait offrir des possibilités que je crois toujours pertinentes pour la littérature d’aujourd’hui.

En quoi La Bassée détermine-t-il les personnages qui en sont issus ? Ils sont poursuivis par l’idée de partir et retenus par le souvenir. Ils éprouvent un sentiment d’exclusion très fort, ils ne s’aiment pas, ils se dénigrent, ils exercent une violence vis-à-vis d’eux-mêmes…

Plus qu’au lieu d’origine, c’est peut-être lié au milieu social. Mes personnages qui vont mal correspondent à une misère mentale, morale que j’ai beaucoup vue. Je n’arriverais pas à inventer un personnage qui serait le roi de la pampa, parce que je ne crois pas au gars qui va bien. Les Luc, les Tony, je les vois parfois dans Paris, je les reconnais : des gamins qui arrivent à la fac et qui se barrent au bout de trois mois parce que c’est insoutenable, alors qu’ils pourraient réussir. Mais ce monde des études n’a pas été fait pour eux, ils n’y ont pas été préparés. Ça me fend le cœur, j’ai beaucoup de mal à dépasser ça, donc j’ai tendance à revenir à ces figures. Parce que je m’y retrouve, aussi. Franchement, si je suis encore vivant, c’est que j’ai eu de la chance. Il y a en France dix mille suicides par an, dont beaucoup chez les jeunes, mais on ne parle jamais des ruptures entre campagne et ville. À part pour expliquer que les campagnards sont des cons parce qu’ils votent RN, on ne pose jamais la question du sentiment d’humiliation que beaucoup d’entre eux ressentent. Quand on veut faire un reportage sur les gens défavorisés, on va en banlieue, alors qu’on sait que la pauvreté en France est d’abord dans les campagnes. Mais c’est moins intéressant à filmer. Cette indifférence construit politiquement le terreau de tout ce qu’on ne veut pas voir.

[…]

Pourquoi considérez-vous qu’Histoires de la nuit est votre roman le plus personnel ?

Tous les événements sont complètement fictionnels, mais l’ambiance, l’atmosphère est très personnelle. J’étais dans ma chambre avec l’un de mes frères, qui avait l’âge qu’a Ida dans le livre, onze ans, au moment où mon père s’est suicidé. La violence du coup de feu, l’effondrement intérieur, la frayeur absolue et l’effet de sidération – tout ce qui est fictionnel dans le livre, j’en ai été traversé. Ici, pour une fois, le vécu rejoint totalement l’expérience fictionnelle. Ce livre est une caisse de résonance de mes peurs d’enfant. Des peurs que j’ai éprouvées à la campagne, où la terreur est toujours très particulière. Je me souviens d’une fois où je m’étais perdu avec ma mère en forêt. On entendait des chiens qui gueulaient… Ces chiens ont des milliers d’années, ce sont des chiens enfantés depuis la nuit des temps. Cela me fait terriblement peur. Ça va avec toutes ces histoires d’incestes, de pédophilie, de dangers divers. Cela dit, la campagne est en train de se transformer, de sortir peut-être de ces archaïsmes. Je me suis construit à partir de ça. Morphologie du conte de Vladimir Propp, que j’avais lu étudiant, a compté dans ma façon d’envisager le roman : trouver à quoi servent la fiction, les images, les métaphores. Un romancier ne peut pas ne pas se confronter à ces problèmes.

[…]

Christine et Marion viennent toutes les deux à La Bassée, lieu que ses habitants cherchent à fuir…

C’est un endroit où on peut disparaître, où a priori personne ne va venir vous chercher. Nulle part, en somme, c’est le début de quelque chose. Le lieu zéro à partir duquel on invente le jour 1 de sa nouvelle vie.

[…]

La scène répétée dans Seuls et Tout mon amour, quand le fils ne veut pas que le père lise ses écrits, a-t-elle une origine autobiographique ?

Oui. Cela ne m’intéresserait pas de le raconter tel que ça s’est déroulé : comment tel jour j’écrivais, comment mon père m’a interrompu… Je préfère le garder comme une espèce de cœur noir, secret. Par pudeur, peut-être. J’ai besoin de tourner autour, tout en mettant cette situation en scène. Je veux le dire sans le dire en disant que je ne vais pas le dire… ça devient sophistiqué ! Tout comme ces images que j’ai besoin de relier entre elles, cette scène me conduit à la fiction. Sans le passage par la fiction, il ne pourrait y avoir de texte, mais certaines scènes fondatrices sont tellement à l’origine de mes livres que, pour les écrire, je n’aurais pas pu me passer de ces scènes.


Propos recueillis à l’automne 2022, par Claire Bouzgarrou, Christian Casaubon, Gabrielle Napoli, Sébastien Omont, Willy Persello, Laurent Roux.