Le roman de Balla

Débuts un peu compliqués pour le jeune Balla. Le père abandonne femme et enfants au Mali, la mère décide d’embarquer ses cinq garçons en France sans avoir ni logement ni travail à l’arrivée et Balla ne parle pas un mot de français quand il atterrit en banlieue parisienne. Mais ça, c’est le lot de toute la fratrie. Lui a en plus des problèmes d’élocution et, semble-t-il, un certain retard mental. Bref, à peine a-t-il posé le pied à l’école qu’il est expulsé de sa classe, mis entre les mains d’une orthophoniste et d’un psychologue et expédié en « perf ».

Balla Fofana | La prophétie de Dali. Grasset, 208 p., 19,50 €
Couverture de "La prophétie de Dali", de Balla Fofana
La prophétie de Dali, de Balla Fofana © Grasset

La perf, c’est la classe de perfectionnement, réservée aux élèves « accusant un déficit intellectuel », comme l’indique un arrêté de 1964. Sauf qu’il n’y a de perf que dans les écoles des quartiers pauvres, remarque le narrateur. « Être en perf, c’est être dans la cave des classes ghettos ». En pratique, cela vaut à Bala et à ses camarades d’infortune le statut infamant et définitif de galeux de la cour de récréation, statut qui le poursuit à la maison où il est traité de « mongol » et de « grand con » – ses frères ont vite appris le français.  

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Le récit est porté par un formidable mélange d’énergie, d’humour et, disons-le, d’optimisme. Pour ce premier roman très autobiographique, Balla Fofana, a trouvé une langue libre, sensible et inventive.

Dans cette chronique des années 1990, il est question d’exil, de pauvreté et de racisme, mais aussi de curiosité, de détermination et de découvertes. Le récit est porté par un formidable mélange d’énergie, d’humour et, disons-le, d’optimisme. Pour ce premier roman très autobiographique, l’auteur, Balla Fofana, a trouvé une langue libre, sensible et inventive. (On notera aussi quelques dialogues en kagoro dont le lecteur non kagorophone peut deviner le ton sinon le sens grâce au contexte, on les imagine savoureux.) Le narrateur de La prophétie de Dali porte le regard lucide de l’adulte d’aujourd’hui sur l’enfant à la fois naïf et malicieux qu’il a été. Il est particulièrement drôle et juste quand il parle de Na, sa redoutable mère. Tout juste débarquée de son village malien, elle a une connaissance du français très approximative mais ce n’est pas une raison pour se laisser marcher sur les pieds. Impérieuse, autoritaire parfois, elle est surtout impressionnante de courage, de force et d’intelligence, le genre de « femme charismatique qui fait passer un ordre avec la fluidité d’un compliment ». Elle a désobéi aux hommes et aux traditions de son pays, ce n’est pas pour se laisser pourrir la vie par les auto-désignées bonnes âmes de son quartier, une scène extrêmement drôle le fait très vite comprendre. Au moment de déposer Balla devant l’école, Na lui refuse un câlin, il n’est plus un bébé. C’est là qu’« une mère rousse ramène sa fraise… Son ambition est débordante. Elle veut sauver l’humanité. Je ne suis qu’une étape dans son plan global. La pauvre, elle ne connaît pas Na. « – Madame, vous ne pouvez laisser votre fils comme ça. Bon je m’y colle, je vais lui donner l’affection que vous lui refusez !- Madame, pardon. Ce n’est pas ton affaire ! » (Maman sans frontières devient plus rouge que ses oreilles) « – Quitte ici. Vite. Je rigole pas avec toi », continue Na ». Tout finira par s’arranger, un compromis acceptable ayant été trouvé grâce à l’astuce de ce petit malin de Balla.

Portrait de Balla fofana
Balla Fofana, Paris, (30/03/2023) © JF PAGA de Balla Fofana.

Na et ses fils changent de logement au gré des parents qui veulent bien les accueillir un moment, tous s’entassant dans des appartements déjà trop petits pour une seule famille. Les cousins nés en France les traitent de blédards, ils sont en colère contre tous et contre tout. Ils font partie de ceux qui sont éternellement obligés de montrer qu’ils méritent d’être français, « alors qu’ils appartiennent à la terre qui les a vus naître. Le pire dans tout ça, c’est que les Français-Blancs eux-mêmes ne s’aiment pas… Ils ont honte de leur drapeau. Honte de leur hymne national. Ils ont peur d’un monstre qu’ils appellent Déclin ». Heureusement, il apparaîtra après quelque temps que tous les Français-Blancs ne sont pas sur le même modèle, Balla et sa famille sont sous la protection des fidèles et généreuses Francine et Bernadette qui, chaque année, apportent jouets, chaussures et vêtements. Quand leur visite est annoncée, Na explique la situation à ses fils, elle leur parle « comme si elle était une anthropologue spécialisée en toubabologie : « les Blancs n’aiment pas l’agitation » », prévient-elle, que ses fils se le tiennent pour dit.

Balla le mal barré trouvera sur sa route des adultes qui le regardent et l’écoutent. Du côté malien, des oncles remplacent avantageusement le père déserteur. Et il y a bien sûr l’impériale griotte Dali qui, contre toute évidence, lui prédit un avenir glorieux. Du côté français, il croisera un psychologue et deux instituteurs formidables qui lui feront prendre conscience de qui il est et qui il peut devenir. Didier en particulier, lui-même rescapé de l’école, lui fait découvrir Brassens et Pagnol et encourage ses élèves à écrire des contes. Celui de Balla est magnifique, ce sera son passeport pour échapper à la perf. Il en retirera aussi le sentiment doux-amer d’effacer l’humiliation faite à Na, autrefois empêchée d’aller à l’école.

Quand le père finira par réapparaître, la rencontre n’aura pas l’effet attendu. Mais, de cette désillusion, le jeune garçon saura faire le levier d’une précoce maturité. Ce roman, dans lequel un jeune garçon réalise qu’il aime les livres parce qu’ils parlent « de rupture, de déchirure, d’amour, d’envie », est bien sûr un roman d’apprentissage, c’est aussi l’histoire d’un éveil à la littérature.