Réanimer les morts

Après l’avalanche d’Arrigo Lessana est un livre qui parle de la montagne, des filles et des pères, des morts trop tôt et des ressuscités, des orangs-outans du Jardin des Plantes, du camp d’internement du Vernet, de la maladie et des derniers jours d’une vie, quand de miraculeux et minuscules moments de bonheur sont arrachés à une conclusion inéluctable.


Arrigo Lessana, Après l’avalanche. Exils, 140 p., 15 €


Le roman d’Arrigo Lessana est court, 140 pages, il commence l’air de rien comme un récit d’expérience médicale, la résurrection d’alpinistes à demi morts dans une avalanche. Pascal et Ferdinand sont « revenus de l’au-delà – c’était comment l’au-delà ? une caverne gelée ? un rêve de Lapon ? un voyage dans le cosmos ? » (on aura d’autres histoires de médecine et de médecins dans ce livre ; l’auteur a été chirurgien cardiaque pendant trente ans).

Après l'avalanche, d'Arigo Lessana : réanimer les morts

Près de Barre-des-Cévennes (2010) © Jean-Luc Bertini

Il y a de magnifiques figures de femmes, la lumineuse Charlotte ou encore Lola, qui a passé sa vie à « escaper ». D’autres personnages accompagnent un moment le récit. Comme le frère de Lola qui « n’est pas revenu ». Ou l’anesthésiste qui « va, vient, farfouille, comme s’il avait perdu ses clés, attentif, concentré, solitaire ». Et qui « semble encore plus ralenti et plus bougon que d’ordinaire, [parce] qu’il n’a pas obtenu sa part dans la vie nocturne de l’infirmière, ce qui rend sa vie diurne bien morose ».

Sur ces histoires mitoyennes, ce roman reviendra ou non. Ce sera peut-être dans le prochain ; chez Arrigo Lessana, les personnages ont l’habitude de passer d’un livre à l’autre. En attendant, le lecteur peut rêver à ce qu’ils pourraient devenir. Ou s’interroger sur des associations d’idées qui semblent baroques avant que leur évidence ne s’impose. Comme l’évocation de ce chirurgien qui « parlait habituellement de façon énigmatique […] La réponse aux questions ne trouvait pas sa nécessité ; comme chez Jean-Luc Godard, quand le dévoilement de l’énigme est immanquablement oblitéré par le passage d’un camion ». Ce même chirurgien qui n’aimait personne, « ni les trisomiques, ni les cosmopolites, ni les types comme moi, qui n’avaient pas la gueule de l’emploi […] mais surtout, il n’aimait pas les gens qui mouraient après qu’il les avait opérés, quel culot, ceux-là ». Il y a beaucoup de morts dans cette histoire, beaucoup de morts jeunes. C’est que « les morts veulent être souvenus », dit une amie de Ferdinand, alors « il arrive qu’ils te procurent du bonheur ». Ce livre est bien sûr une manière de souvenir les morts, et en premier lieu Charlotte, la fille du narrateur.

Un paysage des Cévennes, un harfang des neiges, une salle de réanimation, la ménagerie du Jardin des Plantes la nuit. Il y a dans ce texte de très belles images, précises, poétiques, incandescentes, qui donnent le sentiment d’approcher quelque chose de dur et fragile comme un flocon de neige sur une vitre en hiver. Le lecteur est mis en présence d’une espèce de légèreté lucide et désespérée qui sait lui parler de la camaraderie des hommes et des femmes en montagne et à l’hôpital, de la dignité des gestes techniques, des animaux et de leur compagnonnage avec les humains, de la mort de ceux qu’on aime et de la beauté du monde malgré tout.

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