Limbour l’enchanteur

Je vous parle d’un temps pas si lointain qui pourtant a pris les apparences d’un âge d’or : la fin des années 1970, le début des années 1980. À l’époque, on trouvait encore chez quelques libraires parisiens les romans de Georges Limbour, ce surréaliste renégat qui s’était rangé, dès avant 1930, du côté de Georges Bataille et de Michel Leiris – contre André Breton – et que Jean Paulhan avait régulièrement publié dans la collection « Blanche » de Gallimard. Je m’étais pris de passion pour cet enchanteur, et l’apparition des Vanilliers dans le peloton de tête de « L’Imaginaire », avec le dossard n° 17, dix ans après la mort de son auteur, m’avait donné le sentiment enthousiasmant qu’enfin ce cycliste – qui allait en pédalant lire les tableaux exposés dans les galeries de la capitale – trouverait sa place dans la course à la reconnaissance universelle, une place qu’il méritait amplement sans qu’il l’ait jamais recherchée.

Georges Limbour, Les vanilliers

« Scène de rue », par Jean Dubuffet (1975)

La présence de ce merveilleux petit livre dans la collection m’avait ouvert « L’Imaginaire » comme une campagne magique. Toute une littérature laissée en friche soudain reverdissait. Les blés poussaient dans le champ des vitrines pour une seconde moisson. « L’Imaginaire » à elle seule rechargeait d’énergie ce mot qui a donné à Giono l’un de ses plus beaux titres : regain. Des noms jusque-là entraperçus venaient se planter sur le devant de la scène : André Hardellet, Louis-René des Forêts, Charles-Albert Cingria, Léon-Paul Fargue… Des œuvres restées dans l’ombre avec la discrétion des violettes s’exposaient en bouquets chez les libraires devenus les marchands des quatre saisons de la littérature. En peu d’années, « L’Imaginaire » a réveillé toute une troupe de belles au bois dormant.

J’ai attendu qu’une seconde chance soit donnée à Limbour pour revenir dans cette collection qu’on dirait faite pour lui, tant ses livres font la part belle à l’imagination. Elle est venue avec la réédition de La pie voleuse, trois cent treize numéros plus tard. Là encore, le graphiste Massin semblait obéir à la maxime de Limbour : « La grâce naît du discret ». Pour Les vanilliers, il avait choisi de substituer aux deux « l » du mot deux gousses de vanille, brunes sur la blancheur de la couverture. Celle de La pie voleuse était encore plus délicate : le « o » de voleuse avait cédé la place à un anneau d’or. Une réussite.

Georges Limbour, Les vanilliers

Il reste à Gallimard à ressusciter les deux autres romans de Limbour, La chasse au mérou et surtout, surtout, cette merveille de grâce et de beauté, Le bridge de Madame Lyane, pour donner à « L’Imaginaire », s’il en était besoin, d’autres raisons de vivre et de prospérer.


Georges Limbour, Les vanilliers. Gallimard, coll. « L’Imaginaire » (n° 17), 196 p., 9,65 €

À la Une du hors-série n° 2