Une gauche introuvable

Figure de l’altermondialisme, Christophe Aguiton, l’un des fondateurs d’Attac et du syndicat Sud, revient sur les quinze années écoulées et dégage des problématiques communes aux différentes gauches du monde.


Christophe Aguiton, La gauche du 21e siècle. Enquête sur une refondation. La Découverte, coll. « Cahiers libres », 242 p., 17 €


À l’apogée de l’altermondialisme, Christophe Aguiton écrivait Le monde nous appartient. Cela sonnait comme une version partageuse du « The world is yours » de Scarface. C’était en 2003. Optimisme relatif, vite douché par les guerres moyen-orientales, le raidissement sécuritaire des démocraties libérales et l’accession au pouvoir de formations d’une gauche non social-démocrate. Un bilan historique s’imposait, ainsi que l’élaboration de nouvelles lignes directrices.

Christophe Aguiton, La gauche du 21e siècle. Enquête sur une refondation

Tourné vers l’action, l’auteur ne s’attarde pas à définir « la gauche ». Il s’agit de trouver une stratégie apte à réaliser un agenda anti-productiviste, démocrate, féministe, antiraciste et socialiste. Pour ce faire, l’auteur met en regard les expériences récentes les plus effectives. De la Rifondazione Communista italienne au Movimiento al socialismo bolivien, l’accession au pouvoir produit des effets contrastés. Au Brésil, le Parti des travailleurs élève le niveau de vie mais n’endigue ni la crise environnementale ni la corruption. Ailleurs, les réformes institutionnelles voisinent avec le césarisme. Le cas vénézuélien ne l’illustre que trop. Surtout, les partis ne parviennent pas à maintenir leurs liens avec les mouvements sociaux. À preuve l’Équateur de Rafael Correa. Quant à la disparition de structures communes tel que le Forum social européen, elle entraine le délitement des solidarités internationales. Au cours des négociations avec la Troïka, Syriza se retrouve ainsi doublement isolé : sans partenaire à l’échelle européenne et coupé de sa base sociale. Sans être pessimiste ou à charge, l’ouvrage est l’histoire de ces multiples retours à la normale. Emblématique de cette évolution, Evo Morales, pourtant issu des rangs indigènes, finit ainsi par encourager un projet d’autoroute en pleine Amazonie…

Face à ces expériences, on serait tenté de rappeler le proverbe anarchiste « Qui mange de l’État en crève ». Plus pragmatique, l’auteur se demande surtout comment ne pas réitérer les erreurs évoquées. Celles-ci ressurgiront aussi longtemps que les partis de gauche n’auront pas repensé leur rapport à l’État, au développement économique et à la démocratie représentative. Ainsi, sans nier la puissance du « populisme de gauche » en termes de gains électoraux, Aguiton fait preuve d’une admiration teintée de scepticisme face à Podemos ou à La France insoumise. Peu sensible à la notion abstraite de « peuple », l’auteur remarque surtout une « impossibilité, à cette étape, d’identifier le secteur social qui serait capable d’être l’élément fédérateur, celui qui construirait les ‘’prises’’, les points d’ancrage en termes de revendications comme de moyens d’action ». Élément crucial, et manquant. On peut voir là une volonté de chercher une figure émancipatrice. Est-ce une rémanence du XXe siècle qu’il faudrait dépasser ? La question n’est pas réellement posée. Or, certaines pratiques politiques actuelles se caractérisent justement par un refus de l’identification. Prendre en compte la méfiance suscitée par les institutions, qu’elles soient associatives ou syndicales, aurait aidé à trouver cette « gauche du XXIe siècle ».

À la Une du n° 41