Kitsch hippie sadique

En 1969, à Los Angeles, Charles Manson et des membres de son groupe, « la Famille », assassinèrent plusieurs personnes, dont Sharon Tate, l’épouse de Roman Polanski. Depuis, une petite industrie s’intéresse à lui, à sa communauté et aux meurtres qu’ils commirent, et produit bon an mal an des My Life with Charles Manson, Manson’s Lost Girls, Child of God-Child of Satan, The Girls (roman traduit en français sous ce titre le mois dernier)…


Simon Liberati, California Girls. Grasset, 337 p., 20 €


Ces documentaires, films, biographies… sont plus généralement mauvais que bons, le grotesque terrible du sujet encourageant souvent les auteurs à flatter les sentiments les moins sympathiques chez leurs lecteurs ou spectateurs et à se dispenser de tout préalable de réflexion et de travail sur la forme. S’il existe des exceptions, California Girls, pur produit français signé Simon Liberati de la maison Grasset, n’en fait pas partie.

Mais à quel type de « mansonerie » appartient ce California Girls, sous-titré « roman » ? La quatrième de couverture, rédigée par l’auteur, en donne une petite idée : nous seront racontées « 36 heures dans la vie de la Famille Manson au moment où elle passe à l’acte », selon une approche qui fait en sorte que « tout paraisse aller de soi, comme dans un roman alors que le moindre geste s’est vraiment accompli ». L’authenticité et la vertu thérapeutique du livre (pour l’auteur) sont évidentes : Simon Liberati, à l’âge de neuf ans, connut avec ces meurtres « [s]a première confrontation avec le mal » et il « exorcise » à présent « ses terreurs enfantines ». Quant à l’importance du sujet, elle se voit garantie par son inscription audacieuse dans l’histoire au long cours : l’affaire « marqu[a] un tournant historique ; la fin des utopies des années 60 ». Et, pour finir, on nous assure qu’une profonde compréhension de la douleur a guidé l’entreprise puisque Liberati, en écrivant le livre, a « revécu seconde après seconde le martyre de Sharon Tate ». Mais encore ? Qu’en est-il de California Girls au-delà de ces déclarations, dans l’ensemble sans grand rapport avec son contenu ?

Simon Liberati Manson kitsch hippie sadique

Simon Liberati © J-F Paga

Eh bien, California Girls remitonne des ingrédients assez familiers : la vie quotidienne au sein de la communauté hippie de Manson, des rappels biographiques succincts à propos de quelques personnages, et le compte rendu – couvrant environ cent-cinquante pages – de plusieurs meurtres et de leurs préparatifs. Le point de vue utilisé est souvent celui des victimes ou des membres de la « Famille » qui, « goinfrés » de drogue ou peu déliés mentalement, offrent à l’auteur une excuse (?) pour l’utilisation d’une prose décourageante. Le tout, saupoudré des fades prolepses chères à la littérature vite concoctée, mijote dans la violence et la vulgarité. Peut-être ce goût de l’abaissement est-il une tendance de la production romanesque de moyenne gamme des dernières décennies, mais il frise ici l’indécence : victimes et bourreaux se trouvent systématiquement avilis.

Tel homme à l’agonie est un « gros débris », « un morceau de viande graisseuse » ; le cadavre de Sharon Tate, qui émet « des bruits de canalisation », ressemble à « une méduse écrasée sur le tapis » (ce sont, certes, on vient de le dire, les points de vue des assassins)… Les membres de la Famille, crasseux, défoncés, abrutis, psychopathes, ne semblaient pas avoir besoin d’être rendus plus abjects encore, mais l’auteur en a jugé autrement et insiste laidement sur leurs ébats sexuels, leurs délires, leurs délabrement physique : Manson, « au regard de fakir », va, par exemple, « péter » dans un coin ou « bouffe[r] le cul » de la fille avec qui il couche ; les California girls ricanent, grattent leurs entrejambes souvent gonorrhéiques, sont « plates comme des planches » ou même, comble du comble, « poilues »  ; songez ! l’une de ces jeunes filles possède un système pileux si abondant « qu’il fai[t] débander les cowboys les plus queutards et les plus enragés pineurs des Straight Satans [un groupe de motards] ». Ainsi, la mise en scène d’une corporalité martyrisée, obscène, sale ou malodorante, semble au cœur de ce « livre de la rentrée » aussi disgracieusement pensé qu’écrit.

S’il en fallait encore une preuve, California Girls nous la fournit : la délectation devant la brutalité et la déchéance, la fascination pour le sadisme et la perversion, lorsqu’elles ne sont  accompagnées ni de distance intellectuelle ni de médiation esthétique, sont d’exécrables conseillères.

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