Frère d’arme, frère de route

Ce ne sont pas les livres de Jack London qui fascinent Catherine Poulain, mais bien sa figure, sa présence charnelle, ses traces qu’elle a passionnément aimé chercher tout au bout de l’Amérique.

Vous me demandez de parler de Jack London… Que dire de lui qui n’a pas été dit déjà ? Je ne suis pas journaliste vous savez, ni critique littéraire. J’ai seulement écrit un livre, et qui a bien marché… On a  parfois comparé mon écriture à celle de London. Alaska + Hommes qui boivent dans des tavernes enfumées + Appel du grand large = Jack London. La conclusion est un peu hâtive, et  simpliste Je n’ai connu ni son parcours, ni sa vie. Je ne serai jamais Jack, ni David Vann, avec ses personnages à jamais souillés et  pour lesquels il semble qu’il n’y ait plus aucun purgatoire, ni même John Hawkes avec son livre que je trouve remarquable Aventure dans le commerce des peaux… Il y a cent milles manières de raconter un peu de l’Alaska, et nos styles ne doivent-ils pas épouser le parcours de nos vies, son rythme, son souffle. Se laisser influencer par un auteur que l’on a aimé ne reviendrait-il pas à le laisser influencer nos vies elles-mêmes, cette vie que l’on aimerait être libre de créer et recréer à tout instant ?

Jack London Catherine Poulain

Jack ? Oserais-je dire que je n’ai pas lu énormément de son œuvre. Enfant, il m’a emporté avec lui dans son Call of the Wild, adolescente encore, mais différemment, avec Les vagabonds du rail, et comme il parlait de ce monde qui m’attirait et me fascinait, le monde des hobos que je rêvais de rejoindre !

S’il me fallait parler « d’inspiration » en littérature, je dirais tout d’abord Duras – parfois – avec cette langue nue, ce « ça » qui est là, que l’on sent dans ses silences, oui, parfois, elle est parvenue à l’essence des choses – pour moi. Et puis il y aurait Fakinos avec ses Récits des temps perdus, pureté et simplicité de la langue encore, l’image est là, intacte et brute ; Bukowski et sa poésie désespérée qui n’a que faire de l’apparence du beau ; Camus, Marquez, et l’Œdipe sur la route de Henri Bauchau, cette course folle et magnifique qui devient chant, danse, sculpture ; et Brautigan et Tarjei Vesaas avec entre autres Les oiseaux, simplicité et pureté encore, et les poètes! Oh oui les poètes. Gide et ses Nourritures terrestres qui ont tant marquées et influencées sans doute ce goût et ce désir et ce besoin pour l’arrachement des départs.

Jack London Catherine Poulain

Jack London en 1905

Mais Jack, ce n’est pas tant sa littérature qui m’a fascinée, c’est l’univers physique et brut auquel il redonne corps. C’est le personnage lui-même. Et ce sont ses traces bien physiques encore que j’ai aimé rechercher, suivre presque, perdre et retrouver lorsque je traversais le continent américain en auto-stop, que je m’étais lancé vers le top of the world highway, parce que l’océan m’arrêtait dans ma course terrestre. Aller plus haut, vers le Yukon. Et alors Jack était passé par là… Je l’ai retrouvé à Whitehorse, Dawson City, Skagway, Nome… Et je ne pouvais que regretter d’être née bien trop tard pour avoir connu la folle ruée vers l’or, de ne l’avoir eu comme compagnon de beuverie un soir ou deux, en parlant de la route à suivre peut-être… Ou pas. Et de me sentir alors comme un dinosaure, peut-être, qui se serait trompé d’époque, l’âme attardée auprès de fantômes. Jack, je l’aurais aimé frère d’arme, frère de route…

« Hey Jack ! Hey Buddy !…  Let me buy you a drink ! When are we heading north ?…  And one more for the road… »

« Je veux brûler de tout mon temps… », il disait. Un homme pour qui la vie ne peut être que cet appel vers le wild, en tout, vers l’aventure diront certains, qui se doit de reprendre à chaque nouveau réveil. Enfin, si elle le veut bien l’aventure, si elle est au rendez-vous. Parce qu’elle ne répond pas toujours à l’appel, la garce, des fois elle peut se faire attendre des jours, des mois, des années. Et l’on en crève. Des fois aussi. Car s’il n’y a plus l’ardente vie pour laquelle brûler, c’est nous-même que nous consumons.

Salut Jack.

Catherine Poulain

Dernier livre paru : Le grand marin, L’Olivier.

Retrouvez notre dossier sur Jack London en suivant ce lien.

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