Grand entretien avec Christian Jambet

Philosophe et islamologue, Christian Jambet vient de publier un ouvrage magistral sur la conception politique du monde dans l’Islam chiite, dont En attendant Nadeau a récemment rendu compte. Dans un entretien avec Édith de la Héronnière, il revient sur son parcours philosophique et sur son attachement à l’œuvre de Mollâ Sadrâ, le philosophe et théologien iranien du XVIIe siècle, dont la pensée, nourrie de poésie, est plus que jamais indispensable pour la compréhension d’une culture et d’une religion aujourd’hui prises en main par les théologiens juristes et défigurées par des idéologies mortifères. Avec Christian Jambet, nous pénétrons dans les arcanes d’une vision du monde et d’une politique spirituelle dont les fins eschatologiques visent avant tout à la liberté intérieure et à l’unicité de l’humain et du divin.

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Christian Jambet © Cahiers de l’Herne

Archéologie d’un singulier parcours philosophique

Dans un entretien avec Laure Adler sur France Culture vous parlez de votre conception de la philosophie comme exercice d’étrangeté. Pouvez-vous développer ?

Je voulais dire que pratiquer la philosophie, c’est essentiellement pratiquer un certain mode de lecture. Or, selon moi, cette lecture, cette compréhension accompagnée de la croyance en la vérité, au moins partielle, de ce que les philosophes disent ne peut s’exercer que dans la mesure où l’on s’exile des formes, des schèmes et des systèmes de pensée auxquels on a été préparé par la profession de philosophe.

Lorsque j’ai commencé à travailler, je me suis interrogé sur ce qui n’avait pas d’archives immédiatement repérables dans l’histoire de la philosophie telle que je pouvais en concevoir la courbe et dans la vision du monde que cette courbe produisait.

J’étais passionné, avant de rencontrer l’orient islamique, par certains domaines certes bien balisés, mais situés aux frontières de la science philosophique. Voilà qui aurait pu m’entraîner vers l’anthropologie, laquelle s’affronte à ce qui est exogène. Mais chez moi, le désir de comprendre se fixait au sein de la philosophie proprement dite. À l’intérieur même de la pensée occidentale, il existe un très grand nombre de points d’étrangeté ; entre autres, les relations entre le discours spirituel et le discours philosophique, l’ensemble des éléments non philosophiques qui importent à la philosophie. Parmi ceux qui considéraient que le discours spirituel est aussi important que le discours philosophique – les Grecs avant tout – j’étais tributaire des recherches d’André-Jean Festugière, d’Eric Robertson Dodds.

Je me suis donc orienté vers un domaine où il y a d’immenses archives certes, mais une matière qui nous est étrangère. Le monde islamique est un domaine où les textes gouvernent des conceptions du monde qui sont à la fois intérieures à notre monde philosophique, puisqu’elles sont largement héritières des mêmes sources, les sources grecques, et qui nous sont étrangères parce qu’elles postulent l’existence d’objets dont nous n’imaginons même pas qu’ils puissent exister – ou, du moins, nous ne l’imaginons plus. L’étrangeté est donc aussi bien dans le temps que dans l’espace : c’est un autre mode de temporalité, une autre histoire qui convoque le philosophe.

J’éprouvais une forme de curiosité philosophique dont le dernier mot était de considérer qu’on ne pouvait plus supporter de s’ennuyer dans la répétition du même par le même.

Vous êtes passé par différentes étapes et rencontres, la Gauche Prolétarienne, Maurice Clavel, Michel Foucault… [1]

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La Cause du peuple

La Gauche Prolétarienne n’était pas pour rien dans cette affaire d’étrangeté. Les références de ce groupe, qui n’était pas un parti, à peine une organisation, étaient étrangères à la tradition politique dominante, et, d’une certaine manière, imaginaires : entre les maoïstes français et le personnage historique et les doctrines qu’ils révéraient, il y avait un monde. On sait désormais ce qu’il en fut du maoïsme réel. Le maoïsme imaginaire, le nôtre, fut l’expression de la quête de la politique absolue, faite d’émancipation et de justice sans limite. Il n’importe plus que cet absolu politique se soit incarné dans telle ou telle pratique obsolète ou traditionnelle dans les milieux anarcho-syndicalistes. Ce qui justifiait d’abandonner tout : études, famille, désir de richesse, de pouvoir, des honneurs, tout ce que les Grecs ont nommé les « faux biens », c’était de trouver moyen de s’accorder avec l’idée du juste. Plus profonde que les structures marxistes-léninistes, on eût trouvé ce que Platon appelle la forme du Bien, dont l’image devait être imprimée par une sorte de démiurgie politique dans une matière considérée, de manière très pessimiste, comme en proie à toutes les formes d’iniquité. J’ai commis, peu après les années militantes, un petit livre sur Platon qui n’apporte rien à la connaissance du philosophe Platon. Il n’était rien d’autre qu’une sorte de réflexion sur le maoïsme français se livrant sous le masque platonicien, la préfigure platonicienne.

La version dramatique de l’échec politique platonicien, je la trouvais dans la Gauche Prolétarienne. Le mot prolétarien supprime tout ce que le mot gauche peut avoir d’inscription parlementaire. Le mot prolétarien désigne l’absolu. Il désigne quelque chose d’autre que la gauche, ce dont l’illégalisme allait de pair avec l’atopia. Ce qui vouait inévitablement une telle fraternité à se dissoudre.

Maurice Clavel était notre aîné, chargé de gloire et de prestige. Nous le connaissions sous les traits d’un compagnon, d’un ami à nos côtés, sans qu’il partageât le moins du monde notre stock de croyances marxistes, qu’il jugeait résiduelles et inintéressantes. L’un de mes amis l’a surnommé « l’évangélisateur des gauchistes », ce qui est exact en tous les sens du terme. Or, nous considérions, chose surprenante, qu’il était en droit d’afficher son christianisme haut et fort.

Il ne donnait pas beaucoup le choix !

Nous non plus. Nous professions un sectarisme notoire et des préjugés monumentaux ! Notre socle doctrinal était le marxisme, machine anti-religieuse par excellence, sans parler de nos autres références révolutionnaires. Et pourtant Clavel était admis et aimé, pas seulement de quelques militants, mais de tous. Il avait une capacité d’activisme peu commune, un mélange de liberté et d’autorité fracassant. Il avait un souci, qui ne m’apparaissait pas encore du temps de la Gauche prolétarienne : donner au catholicisme une puissance politique nouvelle. Il avait conscience de l’étrangeté du catholicisme, ce pour quoi il paria sur son succès. Son coup de génie – ou de folie – fut de prédire ce succès parmi des jeunes gens absents de la scène religieuse, présents sur la scène de la politique.

Il nous a tendu la main en un temps où ce nous était dispersé. Il a publié certains livres dont j’attends la réédition groupée. Ces livres étaient des récits de conversion, comme Ce que je crois, un peu antérieur à la période, et des manifestes théologiques et politiques, comme Dieu est Dieu, nom de Dieu. Maurice Clavel tenait le discours de l’urgence politique quand plus personne ne voulait plus y croire. Un mot de lui dont je me souviens : « Ce que j’attends, je l’appellerai modestement une apocalypse ! ». Assez épatés, nous l’entendions parler ainsi de l’imminente fracture du temps, assimilé par lui à un changement d’épistémè. Il considérait que l’époque était en vérité celle d’une révolution inouïe, balayant le despotisme soviétique et le monde bourgeois. Décréter un tel état d’urgence allait contre la logique présidant à « l’union de la gauche ».

Ces aspects politiques ne dissimulaient pas l’enjeu de sa réflexion philosophique. Clavel attendait une transformation du savoir, une mise en congé audacieuse, souvent injuste, de l’idéalisme allemand et de ses échos dans la configuration de la notion de « révolution ». Le couple de l’État et de la révolution lui semblait l’imposture par excellence. Il y avait présents chez Clavel le christianisme de Bernanos et celui de Pascal. Or, avant, pendant, après la jeunesse politique, je n’ai pas eu d’étude plus continuelle que celle de Pascal. Il me montre aujourd’hui comme tout au long de mes années d’enseignement la frontière de la philosophie, grande en son ordre, presque nulle selon l’ordre qui lui est supérieur. C’est en Pascal et en saint Jean de la Croix que l’amitié m’a lié à Clavel. L’imagerie de Port-Royal était présente chez Clavel, tout sauf janséniste, hanté par un désir d’orthodoxie comique chez un tel trublion. C’était l’image de Pascal face au monde, face au despotisme et face à la philosophie. Ce sont quelques-unes des choses que je dois à Clavel de ne pas oublier.

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Blaise Pascal

Michel Foucault, c’était à peu près à la même époque ?

Oui, mais pour des raisons très différentes. Quoique leurs chemins se rencontrent. Foucault avait pour Clavel une attention inquiète et de l’estime ; Clavel avait de la vénération pour Foucault. Il voyait en lui le destructeur de l’ancienne épistémè, le précurseur, en quelque sorte. Ce qui laissait Foucault un peu songeur. Foucault avait été, auprès des maoïstes, celui qui leur témoignait de ses réserves envers leurs préjugés ossifiés. Il n’était pas marxiste, il préférait les prisonniers insurgés à la prison de Toul à l’abstraction prolétarienne ; sa conception de la politique et de l’action n’avait rien à voir avec la notion classique de la révolution. La révolution était une notion à laquelle il était hostile parce qu’elle entrait dans les dispositifs de souveraineté dont il étudiait la généalogie. Mais il était près des maoïstes dans les luttes contre l’intolérable, et pour la libération, le dévoilement du savoir des « hommes infâmes », ceux pour lesquels il n’y a pas d’archives, ou pour qui n’existent que les archives du pouvoir. Par là, Michel Foucault a infiniment compté pour ma formation philosophique : chercher l’archive des hommes, des savoirs, des pensées privés d’archive. Dévoiler, non le sens caché de ce qu’on sait, mais le texte apparent de ce qu’on ne sait pas.

Il a été pour moi un maître dans l’art d’écrire l’histoire de ce qui n’a pas reçu une historisation, de ce qui ne l’a pas reçu suffisamment parce que ça dérange le cours de l’histoire. Il ne recherchait pas, dans l’ailleurs, l’identique caché mais l’inattendu surgissement de l’apparent et de l’aberrant. C’est ainsi que je me suis lancé dans les études islamiques. Maintenant je m’occupe plutôt des objets normatifs et des doctrines de souveraineté. Mais j’y suis venu par le biais exactement inverse, celui des courants aberrants du soufisme et de l’histoire insurrectionnelle du chiisme extrémiste. De surcroît, Foucault n’était pas Sartre, ce qui a été absolument décisif.

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Michel Foucault © Marc Garanger/ Gallimard

Ses rapports avec Sartre étaient difficiles.

Il ne le supportait pas pour des raisons philosophiques dûment méditées et intéressantes. Moi, c’est tout simplement que je ne l’aimais pas, et que je n’aimais pas ce que Sartre avait écrit. Si la philosophie est un héritage sartrien, si la philosophie consiste à avoir des idées et analyser les choses sues, si philosopher c’est penser, je ne voulais pas « faire de philosophie ».

En vous écoutant, une réflexion de Malraux vient à l’esprit : « Les intellectuels sont une race à part, qui cherche le consentement plutôt que le conflit » Seriez-vous dans le fond un anti-intellectuel ?

Oui, si être un « intellectuel » signifie avoir des idées sur un certain objet, et s’y reposer. Si l’intellectuel est celui qui analyse des phénomènes en rejetant tout ce qui a constitué ce phénomène comme élément du discours, de façon à être prescriptif, car l’intellectuel est prescriptif, en effet, je suis anti-intellectuel. Si avoir une philosophie, c’est avoir un système d’interprétation du monde, je ne suis pas philosophe. Pourtant je passe ma vie à enseigner les textes, ce qui est mon point d’ancrage dans la vie intellectuelle. Mais je n’ai jamais cru qu’un cours de philosophie consistât à traiter un « sujet » anhistorique par un pouvoir souverain d’analyse. J’admire ceux qui font ça. Mais ça ne m’intéresse pas.

Comment êtes-vous arrivé à Henry Corbin ?

J’avais lu Louis Massignon. Professeur au Collège de France, islamologue, professeur à l’École des Hautes Études, Massignon avait publié, dans un cadre éditorial où Maurice Nadeau jouait son rôle, un petit volume intitulé Parole [2]. C’est un mélange d’orientalisme savant et de choses étrangères au domaine de l’Islam, qui m’a conduit vers les Opera minora, que j’ai eu la joie de rééditer bien plus tard dans une édition critique sous le titre Écrits mémorables [3]. Le choc de Massignon a été considérable. Je lis alors ces livres qui me conduisent vers d’autres livres sur la mystique musulmane et, évidemment, vers Henry Corbin. Dans l’exercice d’étrangeté, j’ai hésité entre la Chine et le monde musulman. Pour des raisons prépondérantes, le monde musulman l’a emporté.

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Henry Corbin et Christian Jambet, au centre. © Daniel Gastambide, Association des amis de Henry et Stella Corbin

Vous rencontrez alors Henry Corbin.

Par l’intermédiaire de Philippe Nemo, je demande à rencontrer Henry Corbin. Il était à la fois lié à l’histoire intellectuelle de la France et de l’Allemagne entre les deux guerres et à l’histoire universitaire. Mais étranger, par sa position même, puisqu’il vivait en Iran et qu’il voyait les choses depuis un décentrement très ancien. Il venait quelques mois à Paris donner ses cours, il donnait des conférences l’été au cercle Eranos à Ascona et il retournait en Iran où il enseignait.

Henry Corbin m’a vite prévenu : il me faudrait apprendre à connaître un domaine dont je n’imaginais même pas, à ce moment là, que le moindre des auteurs pourrait m’être un jour familier. Mais Henry Corbin avait un tel pouvoir de clarification, il avait un tel art de montrer à quel point les textes qu’il expliquait importaient à la compréhension même de notre fonds philosophique et théologique ! Il était théologien de formation. Il venait du grand séminaire qu’il avait quitté, chassé pour crime de néoplatonisme. On ne plaisantait pas ! Il a eu ensuite une phase luthérienne très importante entre les deux guerres. Il avait publié des écrits théologiques et fondé avec ses amis protestants la revue Hic et Nunc. Il était l’élève de Gilson, comme Maurice de Gandillac et Marie-Madeleine Davy, et celui de Massignon, l’ami de Kojève, de Koyré. Il avait publié avant-guerre ses traductions de Heidegger et celles du philosophe iranien Sohravardî.

Ce qui le guidait, c’était, disait-il, « la quête du philosophe » et non pas une accumulation antiquaire du savoir. Il ne s’agissait pas de se convertir à des cultures et à des religions, mais d’y apprendre une part de nous-mêmes, dans une relation de coappartenance à un monde enfoui. Par exemple, dans l’islam chiite il nous enseignait à reconnaître certaines formes de christologie, dans la mesure où elles sont celles auxquelles l’Occident latin a échappé depuis Charlemagne. Dit avec légèreté : si les Goths avaient imposé l’arianisme à la chrétienté, l’islam aurait été inutile et il n’aurait pas besoin de venir ici et maintenant en compétition violente, parce que nous aurions très exactement ces croyances-là qu’il a adoptées.

J’écoutais passionnément ses conférences à l’École pratique des Hautes Études, lorsqu’il traitait du rapport entre les théologies conciliaires et les théologies orientales qui se sont échappées du côté de l’islam iranien. Avec lui, nous étions dans la généalogie étrange de nous-mêmes.

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Henry Corbin © L’Herne

Vous avez fait un voyage en Iran avec lui ?

Un grand colloque a eu lieu à Téhéran en 1977, sous l’égide de la reine et du grand penseur iranien Dariush Shayegan, élève de Corbin, sur un sujet en vogue à l’époque : le dialogue des civilisations. Henry Corbin, qui était chez lui en Iran, dont le prestige y était et y est toujours intact, avait invité des jeunes philosophes, dont plusieurs de mes aînés et moi-même. À Ispahan, il s’est transformé pour nous en guide. J’étais ébloui. D’enthousiasme, j’ai décidé d’aller m’installer en Iran. Il a tout préparé pour que je puisse être son élève là-bas, comme d’autres déjà l’étaient, français ou iraniens.

Vous avez vécu en Iran ?

Non, parce qu’il y a eu la révolution islamique et la mort d’Henry Corbin. La révolution a entraîné la rupture des relations. L’Iran s’est dérobé, à nous et Henry Corbin aussi, qui est mort en 1978. Donc tout mon rapport ultérieur à ses œuvres et à ses textes a été une relation d’exil. Henry Corbin était un grand ami de Malraux. C’est Malraux qui avait aidé à l’édification de l’Institut d’Islamologie à Téhéran et qui a permis l’impression de toute la « Bibliothèque iranienne » fondée par Henry Corbin. Il l’avait rencontré chez les frères Jean et Joseph Baruzi, le spécialiste de la mystique et le musicologue. Quant aux objets précis qui m’importaient, c’étaient les mouvements messianiques, le soufisme et ses composantes diverses. La philosophie islamique est venue de surcroît, parce qu’elle est partout présente dans de tels cadres historiques. Je ne voulais pas spécialement étudier Avicenne. Je l’ai fait avec le plus grand plaisir. Henry Corbin nous enseignait des auteurs qui étaient refusés par la nomenklatura française parce qu’ils ne nous ressemblent pas et qu’ils ne sont pas « rationalistes » – ce qui n’est d’ailleurs pas le cas dans le monde anglo-saxon, germanique ou italien. Henry Corbin s’occupait des « autres », jugés « irrationalistes », « mystiques ».

Il s’est beaucoup intéressé à Ibn ’Arabî.

Oui, à Ibn ’Arabî, un océan à lui tout seul, et à Sohravardî, dont personne ne pouvait prononcer le nom en France avant lui, mais qui est un penseur dont il a publié, peu avant sa mort, en 1976, un magnifique recueil de traités et récits [4]. Il a écrit un livre majeur sur Ibn ’Arabî, L’Imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn’Arabî [5]. Ces auteurs n’entraient, et n’entrent toujours pas, dans les catégories de l’histoire officielle de la philosophie, parce qu’ils ne sont pas assimilables, solubles dans la représentation que nous avons en Occident de la philosophie.

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Ibn ’Arabî

La philosophie islamique

À propos de la philosophie islamique, à laquelle vous avez consacré de nombreux travaux, vous parlez d’une « philosophie introuvable », pourquoi ?

Je veux dire par là qu’elle n’est pas compréhensible par la seule lecture des œuvres philosophiques et que ses œuvres apparaissent souvent comme autre chose que de la philosophie. Par exemple, il n’y a pas de différence substantielle entre un traité démonstratif et un commentaire philosophique du Coran, chez un seul et même auteur. Pour vraiment comprendre, on est obligé de sortir de l’un pour aller dans l’autre. Le lecteur, ou plutôt l’auditeur pour qui ces livres sont écrits et lus à voix haute, ou qui les a étudiés dans le cadre traditionnel de la madrasa, passe sans effort de l’un à l’autre. L’auteur a en tête, sans les citer, tous ses prédécesseurs, ses collègues et les poètes, la poésie étant la reine des connaissances. Il s’efface, sauf dans le moment difficile à distinguer, où il parle en son propre nom.

Pour vous donner un exemple, vous lisez qu’il existe un cercle de l’être qui va de Dieu jusqu’à la matière et qui remonte de la matière jusqu’à Dieu. L’auteur qui écrit cela a en tête une conception mystique de l’unité de l’être qu’il a découverte chez Jalâl al-Dîn Rûmî, le grand poète et mystique, ou chez le poète Hâfez. S’il utilise soudain une expression comme « les anges éperdus d’amour » pour désigner des intelligences divines, ce sont alors des références coraniques et des commentaires du Coran qui affluent. Il lui arrivera de voir les formes platoniciennes sous les traits des jeunes filles du Paradis, les houris « aux grands yeux ». Pour comprendre, vous êtes aspiré, même s’il faut résister un peu, vers une attitude mentale qui n’est pas celle que l’on trouve dans les seuls traités de philosophie.

Ce qui est frappant, c’est l’importance de la philosophie grecque, de Platon, d’Aristote et de Plotin qui sont fondamentaux, comme si, avant sa résurgence dans la Renaissance italienne, la philosophie grecque s’était poursuivie dans le monde musulman.

Il existe en islam un héritage des auteurs grecs qui jouent un rôle important parce qu’ils sont peu ou prou traduits en arabe, la langue de culture majeure, la langue liturgique. Aristote est le philosophe par excellence parce qu’avec son maître Platon il acquiert l’autorité des prophètes. C’est une manière de les légitimer, car seul un prophète est une autorité en islam. Un homme qui ne reçoit pas une inspiration divine n’est pas une autorité certaine. Platon et Aristote tiennent un discours qui n’est pas celui d’une prophétie législatrice, mais qui a le sérieux d’une parole de vérité. L’édifice monumental d’Avicenne, et celui de Fârâbî, lecteurs d’Aristote, ont suffisamment compté dans l’histoire de la métaphysique pour qu’on n’insiste pas.

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Aristote

En terre d’islam, ils servent à encourager la compréhension d’une thématique qui s’est propagée aussi dans le Moyen Âge latin, celle du perfectionnement de l’âme humaine en vue d’une fin qui est Dieu – Dieu considéré non pas comme idole dominatrice, mais comme finalité et comme modèle de perfection. L’unité est le problème philosophique majeur. En Occident, plus personne aujourd’hui n’est épris de cet amour de l’unité. En islam, en revanche, existe une véritable passion de l’unité. Et de là, une passion pour le problème même du politique, le problème du guide. Qui doit guider ? Qui est assez légitime pour guider ? Ces philosophes héritent des Grecs : Platon est l’homme qui s’est interrogé sur celui qui a le droit d’être l’auteur des paroles de conduite de la vie. Cette question est partagée par tous, même lorsqu’ils choisissent des guides épouvantables. Dans la culture islamique, on ne parle pas par soi même. Dans l’islam classique, c’est l’homme autorisé, le maître qui est autorisé à parler, ce qui offense notre conception ordinaire de la vérité.

De qui tient-il son autorité ?

Le maître est instruit par le prophète, lequel est instruit par Dieu directement. Pour les chiites, c’est l’imâm, littéralement « le guide », qui est l’enseignant suprême, même quand il enseigne des sciences profanes. C’est la situation platonicienne par excellence, exactement symétrique à ce qui intéressait Foucault lorsqu’il étudia, dans ses dernières années, le « libre parler ». Chez les philosophes en islam, c’est moins le franc-parler qui importe que le parler vrai : un dire vrai qui soit fondé sur une justification, laquelle doit être rationnelle, spirituelle, herméneutique ou en tout cas intellective.

L’intellect et le savoir ont une importance supérieure. C’est quelque chose que l’on perçoit très mal aujourd’hui.

L’importance de l’intellect humain vient de ce qu’il est supposé avoir une relation étroite et substantielle avec l’Intellect divin, ou avec les intelligences immatérielles du monde divin. Voici un exemple de croyance tout à fait étrangère au monde moderne : pour ces savants, la médiation entre le Dieu inconnu et inconnaissable et le cosmos, c’est l’Intellect.

On le perçoit aujourd’hui de manière transformée et corrompue par les soi-disant savants, toute la question étant de savoir qui se prétend savant. Pourtant ceux-là même qui adoptent des doctrines anti-intellectuelles, antirationalistes, antiphilosophiques, antimystiques, littéralistes, comme font les wahhabites, tiennent à la distinction entre le savant et l’ignorant, laquelle est consubstantielle à leur univers culturel et en constitue même la différence majeure. Leurs disciples attendent que la République reconnaisse des savants de l’islam – eux-mêmes, bien entendu – avec les conséquences que ça pourrait avoir sur le plan juridique. Or la science religieuse par excellence dans l’islam majoritaire, c’est la jurisprudence.

Mais la science suprême, c’est bien la philosophie ?

La philosophie a revendiqué cette place. De même qu’en Grèce il existait des sectes (au sens noble) de philosophie, l’historiographie arabe traite les falâsifa, l’école philosophique des Xe et XIe siècles, comme une secte parmi d’autres : l’opinion de telle secte estimable voisine avec l’opinion des philosophes, par exemple sur la résurrection des corps, sur l’infinité du monde, etc. Les philosophes revendiquent une position supérieure, comme le sage antique était divinisé. Épicure était divinisé par ses disciples. Les savants musulmans parlent du sage « divinisé », du « divin Platon », parce que la philosophie conduit à s’assimiler à Dieu autant qu’il est possible, selon l’expression même de Platon. Ils prennent cela au pied de la lettre.

Les philosophes héritent de cette autorité d’essence prophétique. Avicenne a écrit que la division des sciences culmine dans la métaphysique : c’est la science de l’étant en tant qu’étant, c’est donc la science générale de l’être, dont l’objet ultime est Dieu. La métaphysique générale conduit à la métaphysique spéciale, qui est la théologie. Avicenne reprend à son compte un modèle aristotélicien, et le perfectionne en un sens néoplatonicien, en considérant la théologie comme le moment suprême de la métaphysique. Les philosophes, après lui, revendiqueront souvent de produire la vraie théologie, ce qui, comme vous pouvez l’imaginer, produit des conflits considérables.

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Avicenne

S’agit-il alors d’une philosophie théologique ou d’une théologie philosophique ?

Je ne vais pas vous dire « les deux », ce serait un peu évasif. Mais il existe bien deux plans, celui du monde sensible, visible, et celui du monde invisible. L’un émane de l’autre. Seul Dieu a les clés de l’invisible. Toute physique reconduit ainsi à la métaphysique et toute métaphysique a pour finalité une théologie. La philosophie, dans la plupart des systèmes, contient une partie logicienne, une partie physicienne et une partie métaphysicienne. La plus importante est la métaphysique qui permet de produire une ontologie, une doctrine de l’être, qui elle-même, à partir du Xe siècle chez Avicenne et chez tous ses successeurs, Averroès et Mollâ Sadrâ, se convertit en un discours rationnel sur le domaine de l’invisible. Au sommet de l’invisible il y a Dieu. C’est en ce point d’unité qu’intervient le legs de Plotin. Ces philosophes ne savent pas qui il est. Il porte plusieurs sobriquets : « le vieillard grec », « Aristote », puisqu’on a attribué à Aristote les fragments de Plotin traduits et glosés en arabe et c’est le nom d’Aristote qui prédomine jusqu’au XVIIIe siècle. Plotin les aide à construire le mouvement qui va de l’Un à la nature en passant par l’intellect et l’âme. À partir de là, la théologie est philosophique en ce qu’elle est une théologie de l’intellect universel dont procède l’intellect humain. La plus grande proximité que l’on puisse avoir avec cela en Occident, c’est la notion de pensée chez Spinoza qui nous l’indique.

Lequel était le contemporain de Mollâ Sadrâ…

Oui, mais Mollâ Sadrâ, vivant dans un État moderne, au sens où l’Empire Ottoman a pu être moderne, en Iran, à l’époque safavide, ne veut rien savoir de ce qu’il pourrait retirer du monde occidental, parce que son cadre de pensée ne peut être qu’islamique – ce qui nous éclaire aussi sur nous-mêmes à la même époque. C’est pour cela qu’il produit une philosophie islamique. Il n’y a pas de dialogue avec les auteurs chrétiens– ce qui ne veut pas dire qu’on ne cite pas des logia du Christ – alors qu’à l’époque préparant l’éclosion de l’école d’Ispahan, il y a eu un grand mouvement de traductions entre le monde hindouiste et le soufisme iranien.

À propos de cette philosophie, vous insistez sur le fait qu’elle développe l’idée de la vie comme métamorphose de l’âme.

La métamorphose de l’âme est liée à l’idée de perfectionnement individuel de l’âme, présente chez Mollâ Sadrâ. La plupart des philosophes de l’islam choisissent les énoncés sur l’âme qui vont dans le sens d’une indépendance subjective de chaque âme, du caractère personnel de cette âme et de son indépendance du corps, bien qu’elle puisse être aussi la perfection du corps. Rien n’interdit de penser que, dès cette vie, elle puisse s’en détacher et qu’elle ait un destin de perfectionnement propre qui est l’intelligence, le savoir. L’idéal du salut philosophique serait que l’intellect personnel finisse par coïncider avec celui de Dieu et que cette science divine, ce savoir absolu se communique à l’esprit de l’homme et le détache définitivement de la dimension mortelle liée au corps. Telle est la recherche d’un perfectionnement intellectuel et moral toujours recommencé.

Il ne faut pas oublier que nos auteurs distinguent l’intellect théorique et l’intellect pratique. L’austérité contredit parfois leur mode d’existence assez sceptique envers les devoirs et les obligations liturgiques. Pour cette raison, les leçons de l’Éthique à Nicomaque d’Aristote ont joué un rôle considérable. Dans le sillage de ce texte, les thèmes de la vertu, de l’excellence, au sens grec du terme, prennent la place du bigotisme, de l’adhésion aveugle et du culte extérieur qui ne transforment en rien l’âme. Il y a là une quête passionnante, un souci éthique. Je propose d’y voir une « éthique de la résurrection ». Il s’agit de construire sa résurrection, sa vie future, qui est la seule vie qui compte, dès ici-bas. C’est une constitution et c’est une métamorphose. L’âme est dans le corps, elle gouverne ici le corps, mais il faut qu’elle se transforme en un être libre.

Qu’en est-il de la liberté dans cette philosophie ?

La seule figure de la liberté en islam est celle de la liberté intérieure. Il ne sert à rien de discuter sans cesse pour savoir si les systèmes politiques de l’islam sont compatibles avec la démocratie. La liberté extérieure ne relève pas de la pensée islamique comme telle. Il y a certes une définition juridique : la liberté y est ce qui ne provoque pas d’objection religieuse. Mais la liberté conçue comme émancipation personnelle, et non collective, comme enjeu de l’existence, est une thématique philosophique. Elle est proprement l’objet de la sagesse.

Y a-t-il eu des saints philosophes ? Des hommes qui ont représenté cette unicité en Dieu par leur vie ?

Vient tout de suite à l’esprit l’exemple de Sohravardî, parce qu’il a été exécuté tout jeune sur l’ordre de Saladin. Il est un martyr, un témoin de la philosophie, sous les espèces de sa philosophie « illuminative », l’ishrâq, qui lui a valu un procès religieux et son exécution. Son austérité était équivalente à celle des maîtres du soufisme. Il y a chez lui un amour inconditionnel du vrai, à la fois le Coran intériorisé et le legs de la sagesse grecque ou iranienne. L’idéal de sainteté qu’on trouve dans le soufisme a contaminé les idéaux philosophiques. Je pense à Haydar Âmolî, un homme riche, vivant à la cour d’un prince. Il est au pouvoir et il abandonne tout, il prend le froc du soufisme, le vêtement de laine et il accomplit un idéal d’austérité en rejetant les faux biens. Mollâ Sadrâ, quant à lui, était un grand enseignant, mais il a mené une vie austère, refusant la vie à la cour des princes. Il y a ainsi des figures philosophiques d’austérité, mais l’idéal demeure essentiellement un idéal de sagesse et de résistance à l’adhésion irréfléchie aux enseignements du Coran et des traditions prophétiques. Le philosophe prétend avoir le droit de regard là-dessus, et il l’exerce.

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Mollâ Sadrâ

Mollâ Sadrâ (1571-1640)

Si j’ai bien compris, le philosophe Mollâ Sadrâ opère un renversement de toutes les valeurs de son temps. Il s’oppose au littéralisme, au juridisme, aux philosophes de la controverse (le Kalâm). Quelles sont vos affinités électives avec ce philosophe dont la pensée a marqué la philosophie en Orient jusqu’à nos jours ?

Il est le dernier grand. Je le pratique depuis longtemps, Je reviens souvent à lui parce que je trouve dans sa philosophie des enseignements qui me séduisent personnellement, me paraissant aller au cœur des questions qu’il pose et qui lui sont posées par la philosophie antérieure. Il touche à des points de vérité profondément émouvants, parfois inquiétants ou bouleversants. Voici un homme qui n’a cessé d’écrire sur la mort, la résurrection, la vie future et la métamorphose de l’âme. Lorsqu’il en parle, il peut être d’une humanité extraordinaire, transcendant toute culture. Par exemple lorsqu’il montre comment nous passons par les âges de la vie, comment cette métamorphose se fait sans que nous le sachions, comment nous ne cessons de mourir et de renaître. Il a une façon très douce de dire que tout est Dieu, et que tout conduit à un Dieu qui est la lumière, la générosité et le pôle du salut de toute chose et de tout homme de bonne volonté.

Attention : je n’adhère pas à sa doctrine, je ne trouve pas chez lui ma propre « philosophie », je ne suis pas « converti » à sa pensée, mais j’y trouve des affinités avec ce que peut être en tout homme l’inquiétude de l’âme, le souci de ce qu’il en est de l’acte d’exister. La notion fondamentale de sa philosophie morale est l’intensification de l’acte d’exister, ce qui ne veut pas dire devenir tout puissant, mais vivre toujours plus. Toujours davantage dans le sens de la lutte contre la privation d’être, afin d’échapper le plus possible à ce qui est le règne des passions vaines, à tout ce qui nous alourdit de vanités et nous fait abandonner silencieusement notre désir originaire de perfection. Ce qui m’attache aussi à lui, c’est qu’il transfigure les textes religieux qu’il interprète. On parle beaucoup du Coran aujourd’hui. Or, pour Mollâ Sadrâ, il est évident que le Coran ne doit pas être lu « comme çà ».

Il y a un commentaire du verset du Trône qui est surprenant chez lui. Un appel à la religion intérieure.

C’est un des versets les plus révérés de tout l’islam. Il est inscrit sur les mosquées. Il est très mystérieux. Les historiens du Coran vous expliquent qu’il est peut-être façonné par plusieurs écrits empruntés à la littérature chrétienne. Mollâ Sadrâ n’en sait rien. Il commente ce verset en s’appuyant, entre autres, sur un mystique, Bastâmî, qui disait que le Trône de Dieu est dans un tout petit coin du cœur du fidèle. Il pousse à l’extrême l’intériorisation du Trône de la souveraineté divine, en même temps qu’il reste très fidèle et attentif à la lettre du verset.

Ce qui me passionne aussi chez lui, c’est la façon dont il a transfiguré le chiisme. En effet, ce qui fait le grand intérêt du chiisme, c’est l’homme divin, l’imâm, le guide. Cet homme, dont la nature est divino-humaine, est pensé, vécu et connu par le chiisme, comme un des Immaculés, des Impeccables. Il est infaillible, sans faute et il a son royaume dans l’autre monde. Or Mollâ Sadrâ interprète cette figure de l’imâm en celle du guide intérieur.

Vous insistez sur le verset suivant : « Il n’y a pas de contrainte dans la religion »

Mollâ Sadrâ écrit « la religion est chose intérieure ». Il faut comprendre ce qu’il entend par religion. Quand je parlais d’intelligence, en voici un exemple : il est le bon témoin de problèmes qu’ont les savants sincères de l’islam – j’entends par sincérité le fait de ne pas rejeter les contraintes manifestes de la lettre de la révélation. Mollâ Sadrâ comprend les mots du verset en question en un sens philosophique et théologique. Dans sa compréhension de « pas de contrainte dans la religion », il exclut que chacun fasse et pense ce qu’il veut en matière de religion, il exclut l’insincérité qui consisterait à nier tout ce que décrète par ailleurs l’enseignement prophétique. Mais il entend que Dieu n’agit jamais par contrainte. En arrière-plan, il y a cette idée que tout être a une fin et que tout être trouve sa fin. Ainsi le glouton sera récompensé car il a sa finalité dans les mets, et l’homme qui aime le monde sensible a pour finalité de jouir ici-bas. Tout trouve la fin qui est inscrite dans sa nature et dans son acte d’exister. Il écrit « Ce que Dieu fait, je le fais, et ce que je fais Dieu le fait ». Pour lui, la contrainte est hors de l’être et du divin.

Qu’en est-il alors de ce qu’on appelle la sharî’a ?

Mollâ Sadrâ ne traite presque pas de ce qui est une affaire de législation. Si quelqu’un vole et qu’on lui coupe la main, si l’on coupe la tête à un assassin, cela ne relève pas de la philosophie, mais a sa place dans l’exercice inférieur et inévitable du pouvoir politique. Dieu laisse chacun, y compris l’infidèle, trouver sa fin. Pour Mollâ Sadrâ, suivant ici Ibn ‘Arabî, les démons et les infidèles sont des êtres de néant. L’infidèle nie l’existence de Dieu, donc il nie l’existence de l’être et il se nie lui-même. Il sera non pas puni, mais récompensé en rencontrant son néant, car Dieu conduit toute chose à sa fin, mais il la conduit librement. Ce n’est pas une philosophie du devoir être, mais une philosophie de l’être. La vraie sagesse consiste à voir qu’il n’y a pas de distinction entre la volonté divine et ce qui est. Tout est bien.

Tels sont les traits majeurs d’une éthique si étrangère à l’esprit de révolte ou de contestation de l’ordre qui m’anime dans mes recherches et dans leurs objets, par exemple la pensée ismaélienne radicale ! L’étrangeté d’un tel esprit d’acceptation inconditionnelle n’est pas pour rien dans l’intérêt que je lui porte. C’est la matière d’un exercice permanent de sortie hors de soi.

Votre livre a pour titre Le Gouvernement divin. Vous écrivez que « la politique devient une méditation sur le gouvernement divin » et qu’elle est finalement un gouvernement de soi. Quelle place alors est faite à la politique comme gouvernement de la cité ?

Chez Mollâ Sadrâ, aucune, si ce n’est le registre inférieur et évanescent comme est ce monde. Il y a une philosophie politique bien distincte, chez d’autres philosophes de l’islam. Mais chez lui il n’y en a pas. Ce n’est pas parce qu’il supprime la politique, mais parce qu’il la subordonne à sa théologie. Et comme dans sa théologie la souveraineté divine est universelle, qu’elle embrasse tout sous son regard, il n’y a pas de place pour une doctrine spécifique de la politique en tant qu’elle serait une doctrine spécifique des pouvoirs humains et des autorités humaines. La seule autorité humaine, celle du prophète ou de l’imâm, n’est pas humaine, mais divine, elle n’est pas une autorité politique. Il existe toute une littérature d’instruction des princes safavides, mais ce n’est pas son objet à lui. Et derrière cette abstention du philosophe, il y a l’idée, profondément chiite, que la seule autorité est celle de l’imâm, qui est la face de Dieu révélée à l’homme. Il y a bien une autorité du savant en religion – la sienne, qu’il revendique – mais ce n’est pas une autorité politique et elle ne peut pas l’être. C’est une autorité enseignante et restreinte au monde des âmes. Il est vrai que pour notre penseur le monde des âmes est le monde réel.

Il existe, et il a sans doute toujours existé, un rapport ambigu entre la religion et le politique D’après vous, la pensée de Mollâ Sadrâ a-t-elle réussi à résoudre l’aspect ambigu de ce rapport ?

Il a aidé à éclairer la situation qui se pérennise jusqu’à nos jours. Si la seule autorité est celle du savant en religion, comment est-elle une autorité politique lorsque le savant en religion cesse d’être philosophe et devient un théologien juriste et lorsqu’il considère que, dans ses pouvoirs, dans l’exercice de son enseignement, il doit y avoir une autorité suprême politique ? Ce que Khomeiny a théorisé comme walāyat-e faqîh, l’autorité du gouvernement du faqîh, du savant en religion au sens large, qu’il concevait concerner magistralement la décision du sens en toute chose, temporelle ou spirituelle.

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En quoi consiste cette autorité ?

Selon moi – c’est une interprétation que je propose comme hypothèse – Khomeiny, comme d’autres, a considéré, à partir d’une expression dont use Mollâ Sadrâ, « la religion des ignorants », que tout ce dont nous parlions ne menait qu’à l’impuissance politique. La situation qu’il souhaitait supprimer était la suivante : en islam il existe une religion pour les « ignorants » et à côté, ou au dessus, une religion des savants. Parmi eux, éventuellement, des mystiques et des philosophes. Une telle répartition du savoir religieux se traduisait par l’asservissement des peuples musulmans, asservissement à leurs princes et à l’Occident. Voilà ce qui retardait, selon lui, l’avènement mondial de l’islam.

Khomeiny, avant sa conversion à la pratique politique, était un très grand enseignant en philosophie et un grand spécialiste de Mollâ Sadrâ qu’il a longtemps enseigné. À mon sens, c’était moins la religion qui importait, à lui et à ses collègues, que l’islam comme système normatif et totalement suffisant, triomphant dans une société, et, idéalement, dans toute société. Il fallait donc s’adresser, ce qu’ont fait les wahhabites et autres courants du même type, aux humbles, en promouvant une religion guidée par un homme intelligent, mais insoumise aux prérogatives des princes, relayée par un clergé ayant pris le pouvoir suprême. Il a ainsi accaparé le privilège légitime du savoir et de la puissance et il a conçu le pouvoir politique sous les traits du pouvoir exercé par le savant inspiré sur les masses ignorantes mais désormais bien guidées.

J’ai cru comprendre qu’entre l’ésotérique et l’exotérique il y avait en fait deux religions.

Il existe, chez un seul et même auteur, une contradiction, ou, en tout cas, un écart qui se crée entre l’ésotérique et l’exotérique, entre le sens obvie et le sens caché. Et les maîtres, y compris dans le monde sunnite, peuvent être des maîtres du sens caché. Ils ont une pratique intellective, jusque dans le commentaire du Coran. Mais il se trouve que la prédication ne relève pas des sens cachés, plutôt de ce qu’on appelle aujourd’hui l’orthopraxie, c’est-à-dire les manières d’agir de manière droite et conforme à ce que dit le desservant du culte public.

Khomeiny a pris sur lui l’autorité de celui qui parle directement au nom de Dieu, Ce qu’il appelle l’autorité du savant est une autorité immédiatement transmise par l’imâm caché, par Dieu et par le prophète Muhammad, une autorité directement issue de Dieu, celle du sage divinisé. Il s’est octroyé un pouvoir de décision absolue. Telle est la fonction du guide, tel qu’il le conçoit dans la république islamique, celui qui décide en dernière instance. Il a le privilège de la souveraineté complète, ce qui suppose qu’il soit un savant. Mais l’exercice de ce savoir et de ses décisions, qui sont au dessus du registre démocratique, s’adresse aux masses et non plus aux disciples. Il s’accompagne d’une volonté et d’une puissance, à l’image des attributs divins de l’homme parfait. Il ne guide pas quelques-uns, mais tous.

Il y a là quelque chose de nouveau. La décision politique est la décision savante, cette dernière s’adresse d’abord aux masses, aux gens rassemblés dans les lieux de culte, et à ceux-là on tient un discours pratique. La division du savoir perdure et se transforme, loin de s’annuler : la « gnose » est concentrée dans les esprits des savants, la religion pratique dans les conduites normalisées des fidèles du « commun ».

Ce discours n’est pas de nature spirituelle ?

Il existe des prêches spirituels de Khomeiny, il serait injuste de les sous-estimer. Les œuvres de Khomeiny forment un ensemble doctrinal de grande taille. Je ne peux ni en dire du bien, ni du mal, mais au-delà de tout jugement d’opinion, nous constatons que nous assistons à un déséquilibre ruineux.

Celui qui concevait son rôle dans la représentation du savoir des imâms a tenté de divulguer sous une forme universelle mais inévitablement dégradée un savoir dont l’essence se refuse à la divulgation, car il est foncièrement ésotérique. La part pratique l’emporte tout naturellement sur la part théorétique du savoir, lorsqu’il s’agit de ferveur politique. Le point de rencontre entre le savoir et les masses ne pouvait être que l’institution cléricale. Or, l’institution cléricale hiérarchise les divers degrés du savoir et du pouvoir. Une gnose ne peut instruire aisément une politique, sauf à être elle-même la politique. La formation intérieure peine à être une formation pour le plus grand nombre et le pouvoir spirituel se dissipe sous les formes exotériques du pouvoir extérieur.

Cette cléricature est celle des juristes et des fonctionnaires religieux, avec toutes les dérives que cela suppose et qu’on a vues. Surtout, l’affrontement entre les idées subtiles et ésotériques et la réalité empirique conduit, parfois de façon féconde, à des tentatives désespérées de réforme. Mais la vie religieuse attendue des masses est d’abord et avant tout une conformité au sens exotérique et pérenne de la législation religieuse, et, par conséquent, la mise en avant des prescriptions soumises aux aléas de la politique, du combat entre amis et ennemis du guide, comme si celles-ci épuisaient ce qu’on peut attendre raisonnablement de la foi du croyant. Et cette valorisation de la législation universelle mais variable, religieuse mais empirique, s’est surtout traduite par les contradictions de la constitution de l’État.

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Manifestation le 10 décembre 1978, à Téhéran

C’est le point commun entre la conception révolutionnaire iranienne et les Frères Musulmans. Prenant la constitution comme objectif ultime, ils prônent un absolu qui se dément aussitôt, si ce n’est dans quelques obligations abstraites et rigoureuses. C’est que le point central n’est pas tant la conformité au Coran, que le fait de revendiquer un État légitime, chose aussi rare qu’une légalité invariable et intangible. La légalité se soumet à une légitimité impossible et nécessaire. Toutes choses qui n’avaient aucun sens pour des gens comme Mollâ Sadrâ, puisque les philosophes ont en tête, non la politique d’un peuple mais l’eschatologie : pour Mollâ Sadrâ, le retour de l’imâm, la parousie, est le seul moment de la justice, le seul geste légitime à venir. En outre, dans la politique religieuse, il s’agit que l’État soit conforme à la littéralité des commandements coraniques majeurs et c’est le Coran qui fait la constitution de l’État, selon la forme sunnite wahhabite.

Face à cette abstraction, nous trouvons chez Khomeiny une innovation remarquable : la constitution place en position souveraine l’interprète du Coran, et tel est le discours du guide dans le cadre chiite. Or, le seul herméneute de l’écriture est l’imâm, les savants n’en sont que les explicateurs, les commentateurs, ceux qui instruisent les âmes. Comment ne pas voir la contradiction qui mine un édifice où le savoir du commentateur se confond avec celui de la pensée commentée ? L’immense édifice de la souveraineté divine intégrale, qui est une souveraineté cosmique, se retourne comme un gant en une souveraineté politique fragile et contraignante en ce bas monde, qui est la souveraineté du guide de l’État. Il en résulte des conflits inévitables, entre la vision eschatologique et la gestion normative.

N’est-ce pas un point sur lequel vous divergez d’avec Michel Foucault ? Lui voyait la révolution iranienne comme une spiritualité politique et vous la voyez comme une politique spirituelle.

Ah oui, nous divergeons complètement ! Il faudrait analyser les rapports entre Foucault et l’Iran, ce qui n’est toujours pas entièrement fait. Si l’on regarde ses textes, Foucault a compris ce qui se passait dans les termes de l’attente eschatologique du retour de l’imâm. Il avait lu Corbin. Il s’est beaucoup informé auprès des Iraniens savants qui lui ont présenté les choses comme si la question de l’État était tout à fait secondaire et comme si c’était, en effet, une spiritualité qui prenait en charge le politique. Spiritualité politique, c’est un très beau concept. C’est le mot spiritualité qui est en position de sujet, politique est le prédicat. Il n’y a pas crainte alors d’une forme étatique islamique, puisque l’islam chiite joue le rôle d’insufflation spirituelle – un pneuma qui souffle sur les masses.

Mais très vite – c’est ainsi que j’interprète son silence sur la question pendant plusieurs années – Foucault s’aperçoit – et tout le monde se moque de lui, bien à tort, d’ailleurs, car il avait au moins pris le risque d’essayer de comprendre – que s’imposent une dictature et un État islamique. L’insufflation de l’esprit produit une forme matérielle qui est semblable à la dictature que Foucault déteste, celle qui naît des révolutions. Foucault assiste à la fin du « on a le droit de se révolter » dans le mot d’ordre contraire : on a toujours le devoir d’obéir.

Pour ma part, je parle, non de spiritualité politique, mais de politique spirituelle, au sens où c’est une politique cosmique qui privilégie la dimension spirituelle de tout le règne de Dieu. On y voit les termes règne, royaume, royauté, lointain héritage des exégètes bibliques. Mais certainement pas la spiritualité politique qu’a vue Foucault dans la révolution iranienne, bien que la dimension que Foucault y a vue importe aujourd’hui. Nommons-la, c’est le fanatisme. Même dans les courants les plus austères de l’islam sunnite, y compris le wahhabisme, il faudrait comprendre ce qui pousse de manière fanatique et catastrophique à l’identité communautaire, et la conséquence de cela, le fait que ce soient les signes de soumission collective qui l’emportent sur toute interprétation personnelle et expérimentée.

Mais je veux être modeste. Premièrement, il faut respecter le fait que les non-musulmans n’ont pas d’autorité auprès des musulmans. C’est pour cela que les interventions militaro-politiques extérieures sont absurdes. Il est naturel que les musulmans n’acceptent rien des non-musulmans. Les chrétiens n’accepteraient pas qu’on vienne leur dire que leur dogme est absurde et doit être amendé. Malheureusement, les musulmans qui peuvent parler avec autorité contre le fanatisme sont encore bien inaudibles par les masses, parce qu’ils appartiennent au monde de l’élite cultivée, qu’ils héritent de ces constellations du savoir de l’islam dont nous avons parlé. Or, par définition, celui qui adhère au fanatisme, à l’islamisme politique, adhère au littéralisme qui lui parle in fine d’une seule chose, de la guerre confondue sans réserve avec le jihad, l’effort armé d’établissement de la loi divine.

Chez Mollâ Sadrâ, le jihad a tout à fait un autre sens ?

Oui ! Comme chez bien d’autres qui, d’ailleurs, se faisaient tuer pour défendre le « territoire de l’Islam ». Le mot jihad n’a rien d’obscène. Il est le pôle de réflexion sur la guerre légitime, une déclaration d’hostilité en vue de défendre le territoire de l’islam, mais cela peut prendre des formes étranges. Le jihad devient alors la forme sacralisée de la guerre. Or, dans son essence, le jihad a une fonction eschatologique qui est de vous purifier entièrement des attaches à ce monde. Le coup de génie est d’avoir transformé le salut par la foi en salut par le jihad. C’est pourquoi je ne m’étonne absolument pas que des gens qui mènent une vie de patachon brusquement se sacrifient en tuant tout le monde. Le jihad peut certes s’accompagner d’une conversion. Mais c’est le signe des signes. La conversion des conversions. Les autres signes pouvant être le vêtement, l’austérité, etc. C’est le geste par lequel on tue les ennemis de Dieu – ceux qui ne se soumettent pas à la loi divine – au nom de la loi islamique en tant qu’elle doit être la loi politique.

Cela suppose une insufflation terrible. Non seulement le jihad est devenu le signe des signes, mais il suppose de tuer le plus possible et de mourir. Vous retrouvez toutes les traditions du paradis des martyrs, et certaines traditions mystiques valorisant le martyre. Le martyre – mourir volontairement pour Dieu se renverse en son contraire, il est assimilé au fait de tuer, tout en étant éventuellement ou certainement tué par son acte même de tuer.

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Quelle est, chez Mollâ Sadrâ, l’image du prophète ?

Ce que les musulmans eux-mêmes disent de la vie historique du Prophète est nourri de traits belliqueux, voire même d’une extraordinaire rudesse. On est plus près du rigoureux législateur, d’un chef de guerre qui a discipliné son peuple de manière terrifiante. À côté de cela, ou mêlé à cela, il y a des traits d’une extrême douceur, présents dans les traditions que met en valeur la littérature spirituelle.

Mais il y a une certaine liberté chez nos auteurs lorsqu’ils parlent du Prophète. Nos auteurs philosophes, dont Mollâ Sadrâ, ont opéré une relève eschatologique de ce messianisme littéral.

Les courants dominants choisissent aujourd’hui la figure du prophète combattant. Il se fait comme un rabattement des combats des derniers temps sur le temps présent. Il doit donc y avoir ici une eschatologie camouflée. En effet, lorsqu’on lit, par exemple, les traditions chiites sur le combat contre l’Antéchrist, à la fin des temps, le Christ, Jésus, vient soutenir l’imâm et massacrer les « armées de l’ignorance ». Aujourd’hui, nous avons affaire à des individus qui n’y connaissent rien et qui nous renvoient aux origines de l’islam en préconisant de hâter la formation d’un État où la juridiction sera conforme à la loi coranique et où les infidèles, à la fin des temps, seront mis à mort. Les aspects les plus vigoureux de l’eschatologie sont réduits à ce que leur semble exiger le temps présent de l’histoire.

La gnose islamique, qui est en fait la prévalence de la religion intérieure, a-t-elle des rapports avec ce que l’on appelle en Occident la Gnose, sachant que, dans le christianisme, les gnostiques ont été catalogués comme hérétiques ? Mollâ Sadrâ a-t-il été considéré comme hérétique en Iran ?

Il y a des similitudes avec le gnosticisme. J’aurais dû préciser que je fais plutôt allusion au gnosticos chez les disciples d’Origène. C’est à prendre au sens du mot grec employé en terre chrétienne. Il signifie la prévalence de la connaissance et le fait de se soucier surtout des fins dernières : le gnosticos est le savant tourné vers l’autre monde; il a par ailleurs un certain nombre de pratiques ascétiques et il se dit lui-même philosophe. Le mot gnose pose d’ailleurs un problème en français. Il y a des similitudes avec les systèmes gnostiques proprement dits dans le chiisme. Mais en philosophie islamique, gnosis est encore le meilleur équivalent du mot ‘erfân qui, en arabe et en persan, est de la racine qui produit les mots signifiant connaître, connaissance. Donc gnosis , al-ʽirfân, ‘erfân, c’est la connaissance de l’invisible, une connaissance qui sauve, car le gnostique est celui qui trouve son salut dans le fait de connaître vraiment Dieu. Mollâ Sadrâ dit « la vie future c’est la science ».

Quelle place tient la poésie dans la philosophie de Mullâ Sadrâ ?

D’abord il est lui-même un poète. Il a écrit un Divan de poésie et il cite les poètes. De temps en temps dans un chapitre vous avez des vers. C’est à çà que je faisais allusion à propos de l’introuvable. Parfois il se cite lui-même, parfois il cite des poètes comme Saadi et d’autres, ou même Omar Khayyâm. Il ponctue ce qu’il vient de dire de façon démonstrative par deux vers qui expriment mieux ce qu’il voulait dire. Le distique a le même statut qu’une citation coranique. Vous vous apercevez par ailleurs qu’il n’y a aucun rapport entre ce que dit littéralement le Coran et ce qu’il prétend que ça dit. Il désigne, sans insister nécessairement, ce qu’il juge être le sens caché. Ensuite, juste après la citation coranique, vous avez deux vers de poésie profane, de poésie amoureuse. C’est cela, la philosophie introuvable.

Qui sont les penseurs qui aujourd’hui, en Iran ou ailleurs, incarnent la philosophie de Mullâ Sadrâ ?

C. J. Cela prend des formes qui m’intéressent beaucoup. Aujourd’hui, d’après mes collègues qui travaillent sur les penseurs actuels en islam, les livres des théologiens, des philosophes, des théoriciens des droits de l’homme, sont truffés de raisonnements et de références implicites aux textes de Mollâ Sadrâ. C’est intéressant pour une phase ultérieure d’éventuel bouleversement politique qui transformerait la sphère du pouvoir religieux. Peut-être un beau jour, tout ce que nous vivons actuellement sera jeté aux oubliettes parce que le pouvoir changera. Mais pour l’instant, ces auteurs, qui sont des gens importants, qui publient des doctrines tout à fait originales, sont des philosophes de toutes obédiences et utilisent tout le matériau canonique qu’ils ont appris.

Propos recueillis par Édith de la Héronnière


  1. Sur les relations entre Clavel et Foucault, voir l’article de Daniel Defert dans le n° spécial « Maurice Clavel », Bulletin des Amis de Vézelay, n° 80, été 2016.
  2. Parole donnée, Julliard, 1962 (réédition, Seuil, 1983).
  3. Écrits mémorables, 178 textes (pour certains inédits) établis, présentés et annotés sous la direction de Christian Jambet, par François Angelier, François L’Yvonnet et Souâd Ayada, Robert-Laffont, coll. « Bouquins », 2 volumes, 2009.
  4. Sohravardî, L’Archange empourpré. Quinze traités et récits mystiques. Trad. du persan et de l’arabe par Henry Corbin, Fayard, coll. « Documents spirituels », 1976. 
  5. Henry Corbin, L’Imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn’Arabî, 2e éd., Flammarion, 1977.

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