Le « roman » de Philippe Sollers

On lira, on relira Mouvement, roman de Philippe Sollers. On en sillonnera les courts chapitres, les moments ou les mouvements. Avec, parfois, le temps d’un café serré.


Philippe Sollers, Mouvement. Gallimard, 230 p., 19 €


Le thème de cet ouvrage est notre aujourd’hui, y compris cet avis imprimé en majuscules : « VERS LA DISPARITION DE L’ECRITURE. » Philippe Sollers, sur pièces, entreprend de nous persuader qu’il n’en est rien. Le fond de cet ouvrage pourrait passer pour commun, pour connu, dans cette « planète démente », dans la décomposition générale. L’ouvrage, entre humour et indignation, déborde ces banalités. Le titre et le sous-titre – dont la présence est récurrente – fournissent des points de cristallisation et de réflexion variés. Ainsi : « Le seul vrai roman est le mouvement de l’Esprit, rien d’autre. » Un des échos de l’exergue empruntée à Hegel « La vérité est le mouvement d’elle-même en elle-même. »

L’auteur de la Phénoménologie de l’Esprit est ici omniprésent, mais ses avatars sont multiples. En passant, ceci : « Hegel dont le principal intérêt est le mouvement des dates, hoche la tête. » Hegel soumis aux manœuvres retorses, assassines du marxisme. (contrepoids, le récit d’un rêve de Lénine qui ne manque pas de piquant).

L’homme privé : le fils naturel qu’il fait à sa logeuse. Sollers tisse l’histoire : une jeune fille, Gudrun, que ses camarades poursuivaient en l’accusant d’être la petite petite-fille d’un philosophe allemand depuis longtemps dépassé. Le temps à ce moment de l’Histoire est celui de la bande à Baader. Et Gudrun avait été une marxiste radicale. Le récit s’arrête à cet aphorisme : « Le mouvement est infini en tant que l’unité de ces deux opposés, le temps et l’espace. »

Le narrateur dit : « Il fait très beau. J’avais besoin de café fort. »

Des personnages et des livres, le champ du mouvement est vaste. Le roman s’étend de la Bible à l’Odyssée. On y rencontre des poètes chinois, La Divine Comédie, Pascal, Rimbaud, les Poésies de Lautréamont, Joyce, Céline… La mainmise sur la musique par l’écriture est plus difficile. Nous retenons les motets de Bach.

Sollers s’approprie les œuvres qu’il aime. Il est reconnaissable dans la définition des peintres qu’il a commenté dans ses livres écrits sur eux : Le Paradis de Cézanne, les Passions de Francis Bacon, les Surprises de Fragonard, Watteau et les femmes. (Pour Picasso ou Cy Twombly, le témoignage d’admiration.)

Une œuvre et un écrivain dont le nom est attaché à cet œuvre domine le roman de Sollers, Lascaux et Bataille. Georges Bataille est l’auteur d’un livre « admirable » sur la grotte et l’art : « Le grand roman millénaire de la caverne doit donc s’appeler Mouvement. »

Dans la composition du paysage écrit par Sollers, se rencontre un pays commun avec Lascaux, la Dordogne, dont un grand-père de l’écrivain est originaire. La grotte est un puits pour la mémoire, une mémoire infinie : « J’ai compris puisque j’avais soudain 15 000 ans pourquoi la Dordogne en ces temps si anciens avait dû être le centre du monde. Bataille parle de “cet éclat merveilleux, de la richesse pour laquelle chacun se sent né”. »

Au chapitre Lascaux du roman de Sollers, une biographie multiple. Sur Georges Bataille et Lascaux, et pas seulement : « Bataille à 22 ans, avant de plonger dans Sade et Nietzsche est déjà ce qu’il est et ce qu’il sera : un homme de Lascaux, un mouvement intérieur et sauvage. » Ou encore : « Bataille, en parlant du génie de l’homme de Lascaux, dans son déferlement animal, le définit comme animé par une “spontanéité insoumise” ». Il s’agit d’un mouvement extrême de liberté dans le mouvement du mouvant.

Qui, dans ce mouvement infini, est le pseudonyme de qui ? La biographie pose la question sans la résoudre. Aucune réponse à aucun sujet, dans l’écriture, sauf dans le mouvement. Dans le roman de Sollers cette ouverture : « Il fait très beau ce matin à Berlin et Hegel m’a emmené voir[…] ».

Lisez, relisez ce roman.


Photo à la une : © Jean-Luc Bertini

À la Une du n° 8