Michel Onfray ou l’art du vivre

Pour Michel Onfray, si elle est encore recherche de la sagesse, la philosophie est aussi un sport de combat, un art de vivre qui n’interdit pas de « déplaire aux crétins » et d’étriller les « normaliens »… Mais tant de polémiques – assumées, médiatiques, peut-être utiles – ne cachent-elles pas une personnalité plus complexe ? Après tout, on se souvient d’avoir lu avec admiration les pages sur Nietzsche et Venise dans La Sculpture de soi, jadis.


Adeline Baldacchino, Michel Onfray ou l’intuition d’un monde. Le Passeur, 18 €, 233 p.


Le portrait inattendu qu’Adeline Baldacchino dresse du philosophe – en poète de haïkus – se veut un « parcours subjectif », voire une confession personnelle, qui offre en même temps un plaidoyer, assez courageux, en faveur du fondateur, en 2002, de l’Université populaire de Caen – « lieu de la plèbe » revendiqué hors de toute institution scolaire. Michel Onfray est ainsi l’archéologue, avec sa méthode « psychobiographique », d’une vaste et irritante Contre-histoire de la philosophie qui célèbre Camus et Aristippe de Cyrène et malmène, outre Freud et Sartre, les coincés nourris de Kant et de Hegel, les pathétiques « amants de l’idée transcendantale ». Une façon insolente et hérétique de philosopher « comme un chien », en cynique, qui a rencontré, sur place et grâce à France Culture, un large succès, preuve qu’elle répondait à ce que Hegel a appelé un « besoin de philosophie ».

Adeline Baldacchino ne se dissimule pourtant pas les ambiguités, voire les contradictions – qualifiées d’« oxymores » –de cet ascète libertin, de cet utopiste lucide, de cet individualiste partisan des microsolidarités : un nomade viking d’ascendance, profondément ancré dans sa Normandie, « aux franges du pays d’Auge et d’Argentan », et qui se réclame du « matérialisme poétique » du Bourguignon Bachelard et de son « expérience de l’intimité ». Elle fournit des indications sur les lectures décisives (Proudhon, George Orwell, L’Individualisme révolutionnaire d’Alain Jouffroy) et sur quelques événements fondateurs, traumatismes ou petites épiphanies, sans cesse évoqués dans une œuvre surabondante : les travaux heureux dans le modeste potager de son père et la mort de ce dernier – présente de nouveau au début de Cosmos, un beau livre –, la lecture précoce de Cioran et de Schopenhauer, la présence de la mort avec, très jeune, un infarctus – « pas envie de vivre/ pas envie de mourir » –, le glacial internat catholique, le décès, bien plus tard, de sa compagne, d’un cancer – sujet du Requiem athée, ce véritable thrène –, l’explosion sensuelle d’un verre de sauternes – du Château Yquem ! – ou le voyage au pôle Nord. Autant d’éléments biographiques qui finissent par créer la légende, authentique, de ce penseur poète, de cet « ogre » « un peu chamane ».

Ces expériences contrastées ont donné naissance à une pensée affirmée, pleine de certitudes : une philosophie du plaisir et de la jouissance – épicurienne en fait, dans sa sobriété – et une morale de libertin – au sens des libertins du XVIIe siècle –, qui doit conduire à une politique de « gauche postanarchiste » que certains jugeront passablement illusoire : une politique « libertaire », « nietzschénne », « solaire » « qui – nous dit Adeline Baldacchino – ne renonce à rien, ni à la liberté au nom de l’égalitarisme, ni à l’égalité au nom de l’individualisme ». Il est plus facile de la suivre quand elle avoue, à propos de l’œuvre poétique de Michel Onfray, être heureuse d’y avoir trouvé « la part du doute », « la part de la fragilité », « la douceur et l’inquiétude » qu’elle avait en vain cherchées dans une œuvre si sûre d’elle-même. L’auteur du Journal hédoniste mérite-t-il cette belle apologie, pleine d’empathie ? Chacun jugera.

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