Papiers retrouvés

Dans son catalogue en ligne 
d’avril 2014, William Théry, 
libraire 1, par ailleurs animateur des éditions À l’Ecart, proposait 
à la vente, sous le titre 
Où Pascal Pia donne à Albert Paraz une leçon d’indépendance 
et de probité intellectuelle, 
une lettre d’Albert Paraz 
à Pascal Pia datée du 3 mai 1956 2. Paraz a envoyé à Pia 
son dernier livre qui sera, 
de son vivant, son ultime publication, Schproum à Casa, 
« qui est dans la nouvelle ligne 
à laquelle Carrefour a fini 
par se ranger, après 10 ans 
de réflexion. J’ai besoin de savoir 
si vous avez oublié d’en parler 
ou si vous le faites exprès. 
Je ne voudrais pas 
vous engueuler pour rien »…

Albert Paraz, largement oublié aujourd’hui, sauf des lecteurs de Céline (leur importante correspondance – 353 lettres – a été publiée dans les Cahiers de la NRF en 2009) est l’auteur, entre autres, de Bitru ou les vertus capitales, des Repues franches de Bitru et de ses compagnons, et surtout de deux pamphlets, Valsez saucisses et Le Gala des Vache, en 1948, toujours très recherché pour la longue et virulente lettre de Céline « sur Sartre et l’existentialisme » reproduite en fin de volume, plus connue sous le titre À l’agité du bocal.

paraz_couvDans Schproum à Casa, Paraz raconte sur le mode parodique, en argot, une enquête de l’inspecteur Gorin dans le nouveau Maroc indépendant pour débrouiller des règlements de compte entre corses et berbères, sur un arrière-plan politique. C’est la suite des trois romans policiers (Une Fille du tonnerre, Pétrouchka et Villa Grand Siècle) mettant en scène le même personnage, avec un certain succès, mais ce n’est certainement pas le meilleur livre de Paraz, loin de là. Rien qui puisse, à priori, intéresser l’éminent critique de Carrefour, sauf justement cette « nouvelle ligne » – de droite, colonialiste, réactionnaire – à laquelle « Carrefour a fini par se ranger ». Mais Paraz, qui ne se prive pas d’y insulter 



copieusement Sartre, Camus, Mauriac, Mendès France et quelques autres, pense certainement que son livre mérite, au moins à ce titre, d’être soutenu. Cette lettre étonnamment agressive ne pouvait pas laisser Pia sans réaction. Il se donna la peine d’y répondre, et de conserver un double de cette réponse. C’est elle, plus que le sujet abordé, qui nous intéresse.

William Théry sait parfaitement qui est Pascal Pia. « On joint, ajoute-t-il, la copie carbone dactylographiée de la réponse de Pascal Pia, Paris, 9 mai 1956 ; 1 page in-4°. Il faudrait tout citer de cette lettre admirable qui reflète merveilleusement l’être farouchement indépendant que fut Pascal Pia jusqu’à son dernier jour. » C’est lui qui souligne.

Pia affirme n’avoir jamais reçu le livre du sourcilleux Paraz : « Ceci dit, je vous avouerai que les livres dont je ne dis rien sont beaucoup plus nombreux que ceux dont je parle. Ce n’est pas dans la critique que je gagne ma vie. Mes journées ne m’appartiennent pas, et je suis loin de pouvoir tout lire. Je ne me soucie nullement de savoir si la « ligne» de Carrefour est nouvelle, ni si je suis sur cette ligne. Je n’assiste à aucune conférence de rédaction, — s’il y en a. C’est même la liberté qui m’est laissée qui m’a fait accepter de tenir une chronique hebdomadaire. Bonne ou mauvaise, cette chronique ne doit qu’à moi ses qualités et ses défauts. Si vous ne me croyez pas, tant pis. Mais pourquoi vous inquiéter de l’opinion d’un critique si, a priori, vous pensez que cette opinion s’infléchit selon l’attitude de son journal ? Aussi bien ne m’envoyez donc rien. Si j’avais eu votre livre, je l’aurais sans doute lu à cause du souvenir que j’avais de Bitru. Maintenant, c’est inutile. Si j’en disais du bien, vous pourriez croire que je cède à la menace d’être « engueulé ». Si j’en disais du mal, vous seriez tenté de penser que la mauvaise humeur altère mon jugement. Afin de ne vous exposer à aucune méprise, mieux vaut en rester là et que je ne vous lise point. »

En regrettant de ne pouvoir retrouver le texte intégral de cette lettre qu’il nous autorise généreusement à publier, William Thery précise : « Je pense que j’ai cité les 3/4 de la lettre et de toute façon la partie la plus significative et la plus révélatrice de ce qui fait de lui un modèle pour certains et pour d’autres un anachronisme ou une anomalie vouée à la disparition. »

A la suite de cette lettre, Paraz s’excusa auprès de Pia, dans une lettre du 21 mai 1956 également cataloguée par William Théry : « Je ressens ce que vous voulez me faire savoir, c’est-à-dire que vous n’avez pas d’animosité spéciale contre moi. Je vous en remercie et pour cela, j’enlève votre nom dans l’un de mes articles sur les critiques des journaux de droite qui suivent, peut-être inconsciemment, les tabous communistes… Je vois avec plaisir que vous n’en faites pas partie. »

Ce qui nous importe dans cet échange n’est pas l’histoire des relations entre Albert Paraz et Pascal Pia, mais ce témoignage d’indépendance et de probité intellectuelle donnée en toute simplicité. Pour la compléter, nous sommes heureux de pouvoir publier cette lettre de Pascal Pia envoyée à Maurice Nadeau en juin 1955, retrouvée par Gilles Nadeau. Nous le remercions de nous avoir communiqué cette belle leçon de modestie.

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  1. 1 bis, place du Donjon, 28800, Alluyres
  2. Lettre autographe signée (LAS), Vence, 3 mai 1956 ; 1 page in-4°, env. cons.
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